Erreurs fossilisables de prononciation du français chez des apprenants hispanophones *

Errores fosilizables de pronunciación de francés en estudiantes hispanohablantes

Fossilizing Mistakes of French Pronunciation in Spanish-Speaking Students

Magis. Revista Internacional de Investigación en Educación, vol. 12, n° 25, 2020

Pontificia Universidad Javeriana

Chloé Deswarte *

Universidad Santiago de Cali, Colombia , Colombia


Fanny Janneth Baquero **

Pontificia Universidad Javeriana, Colombia, Colombia


Javier Hernando Reyes-Rincón ***

Pontificia Universidad Javeriana, Colombia, Colombia


Carolina Plata-Peñafort ****

Pontificia Universidad Javeriana, Colombia, Colombia


Reçu: 23 Janvier 2018

Accepté: 21 Janvier 2019

Résumé: L'article présente les erreurs fossilisables que les étudiants de Licence en Langues Modernes de l'Université Pontificale Javeriana font en phonétique et phonologie dans les niveaux intermédiaires (B2) de français. À partir des concepts clés (phonétique, phonologie, fossilisation et erreur fossilisable), nous analyserons un corpus de productions orales, les réponses à un questionnaire adressé aux étudiants et des entretiens semi-directifs réalisés avec les enseignants des cours. Nous démontrons que les erreurs caractéristiques des hispanophones persistent dans ces niveaux et risqueraient de ne pas être corrigées à moins que des stratégies pédagogiques soient mises en place à fin d'empêcher leur fossilisation.

Mots clés: Français, enseignement des langues, phonétique.

Resumen: El artículo presenta los errores fosilizables que los estudiantes de la Licenciatura en Lenguas Modernas de la Pontificia Universidad Javeriana cometen en fonética y en fonología en los niveles intermedios (B2) de francés. A partir de conceptos clave (fonética, fonología, fosilización y error fosilizable), analizaremos un corpus de producciones orales, las respuestas a un cuestionario dirigido a estudiantes y entrevistas semiestructuradas realizadas a profesores de los cursos. Se demuestra que los errores característicos de los hispanohablantes persisten en esos niveles y podrían no ser corregidos a menos que se desplieguen estrategias pedagógicas con el fin de evitar su fosilización.

Palabras clave: Francés, enseñanza de idiomas, fonética.

Abstract: This article presents the fossilizing mistakes made by the Modern Languages students of the Pontificia Universidad Javeriana in the French phonetics and phonology in the French intermediate course (B2). Based on key concepts (phonetics, phonology, fossilization and fossilizing mistakes) we analyze an oral production corpus, the answers to a questionnaire for students, and semi-structured interviews made to the course teachers. It is shown that typical mistakes by the Spanish-speaker persist among students in this level and are would not be corrected unless some pedagogic strategies are implemented to prevent the fossilization.

Keywords: French, language instruction, phonetics.

Introduction

Au fil du temps, le statut de l'erreur a évolué à travers le concept d'apprentissage (Corder, 1980 [1967]; Fries, 1945; Lado, 1957; Selinker, 1972; Weinreich, 1953). De nos jours, en didactique des langues, l'erreur est considérée comme une étape normale et même inévitable tout au long du processus d'apprentissage d'une langue étrangère puisque celle-ci traduit l'interlangue de l'apprenant. Mais qu'en est-il des erreurs que les apprenants d'un même groupe et niveau de langue donnés commettent de manière systématique?

Dans cette optique, la présente recherche a pour but d'identifier les erreurs fossilisables que les étudiants de Licence en Langues Modernes de l'Université Pontificale Javeriana commettent en phonétique et phonologie dans les niveaux intermédiaires (B2) de français.

Dans un premier temps, cet article présentera le cadre théorique qui comprend les concepts de phonétique et phonologie (Billières, 2014; Gil-Fernández, 2007; Parizet, 2008; Vargas, 2011); le phénomène de fossilisation dans l'apprentissage des langues étrangères (Ellis, 1993; Han & Selinker, 1996; Sánchez-Iglesias, 2003; Selinker, 1992); les erreurs fossilisables (Baralo, 1996; Fernández, 1996; Martín-Morillas, 1983; Sánchez- Iglesias, 2003); puis, finalement, l'identification et la classification de ces erreurs à partir de critères linguistiques et descriptifs (Alexopoulou, 2005). Dans un second temps, nous présenterons la méthodologie employée lors de cette étude pour laquelle trois outils de collecte de données ont été utilisés: un questionnaire réalisé auprès des étudiants des derniers niveaux de français, des entretiens menés auprès de leurs professeurs et la révision de productions orales des étudiants concernés. Finalement, nous exposerons l'analyse des résultats obtenus à partir de la triangulation de ces trois instruments de collecte de données et les conclusions du travail.

Difficultés relatives à la phonétique et phonologie du français chez les apprenants hispanophones

Dans la première partie de cet article nous nous intéresserons aux études qui ont déjà été menées sur l'identification des difficultés relatives à l'acquisition de la phonétique et de la phonologie française chez les apprenants hispanophones. Nous y aborderons également plusieurs concepts clés qu'il convient de définir dans le cadre de cette recherche notamment ceux de phonétique, de phonologie, de fossilisation et d'erreur fossilisable.

Phonétique vs phonologie

La phonétique, “science de la face matérielle des sons du langage humain”, ainsi que [Nicolas S.] Troubetzkoy la définit, étudie les éléments phoniques d'une langue sans tenir compte de leur rôle dans la communication. Par opposition, la phonologie, “science de la face fonctionnelle” des éléments phoniques étudie le rôle que jouent ceux-ci dans la communication (Parizet, 2008, p. 114).

La phonétique s'intéresse donc aux sons eux-mêmes, encore appelés phones, dans leur réalisation concrète, indépendamment de leur fonction linguistique. La phonétique articulatoire, qui étudie la manière dont les sons sont produits par les organes, se distingue de la phonétique acoustique, qui s'intéresse aux caractéristiques physiques des sons (durée, intensité et hauteur).

Par opposition, la phonologie étudie la fonction des sons, appelés ici phonèmes, dans la langue. La phonologie tient donc en compte la fonction distinctive des phonèmes (Gil-Fernández, 2007). Alors que la phonétique s'intéresse à la prononciation et aux différences d'articulation des sons (exemple: différence d'articulation entre les sons [R] et [l]), la phonologie s'intéresse à leur fonction distinctive, c'est-à-dire, selon Michel Billières (2014), “au changement de sens entre les unités lexicales de la langue dans un même contexte phonétique” (par exemple, entre les phonèmes /R/ et /l/ dans les mots riz et lit).

Finalement, l'une des branches de la phonologie est la prosodie qui se traduit par l'étude des différents domaines que sont l'accent, le rythme et l'intonation. Ces domaines sont étroitement liés et leur relation est complexe. Selon Fabián Santiago Vargas (2011), ces éléments prosodiques “attribuent certaines modalités à un énoncé (déclarative, interrogative et exclamative) et organisent les unités prosodiques (phrasé, délimitation de groupes rythmiques et groupes accentuels, etc.)” (p. 194).

Difficultés phonétiques identifiées chez les apprenants hispanophones

D'après les tests de discrimination phonétique que ce même auteur a réalisés lors d'une étude menée en 1996 sur des débutants espagnols de l'Université de León (Espagne), les principales difficultés au niveau de la prononciation ont lieu sur les phonèmes et archiphonèmes suivants:

Les voyelles orales: [y] et [OE]1

Les voyelles nasales: [ɑ̃ ], [ɛ̃ ] et [ɔ̃ ]

Les semi-voyelles: [j] et [ɥ]

Les consonnes: [v], [z], [ʃ], [ʒ] et [R]

D'autre part, grâce une étude menée auprès d'étudiants hispanophones de Master à l'Université de Murcia (Espagne), Zahira Carles-Navarro, Carmen Álvarez-Cienfuegos López de Hierro et Marisol Carrillo-Gallego (2011) ont mis en évidence d'autres difficultés au niveau de la discrimination entre les paires consonantiques [b] - [v], entre les voyelles [i] - [y] et les trois voyelles nasales [ɑ̃ ], [ɛ̃ ] et [ɔ̃ ]. De plus, ces mêmes auteurs mettent en évidence le problème de prononciation du “e” muet final et des consonnes finales.

Si ces études nous permettent d'avoir un premier aperçu des difficultés que les étudiants hispanophones éprouvent lors de l'apprentissage du français, elles présentent également quelques conseils didactiques en ce qui concerne l'enseignement de la langue française à ce type de public. Par exemple, selon Carles-Navarro, Álvarez-Cienfuegos López de Hierro et Carrillo-Gallego (2011), un entraînement graphophonologique est primordial car la simple répétition de mots et phrases ne permet parfois pas d'obtenir, chez les étudiants hispanophones qui apprennent le français, un niveau de prononciation acceptable. Il faut donc directement intervenir au niveau de la prononciation en “fournissant aux apprenants des clés au niveau de l'articulation et des informations graphophonologiques qui leur permettent d'utiliser la lecture autonome et contrôlée comme méthode d'apprentissage” (Carles-Navarro, Álvarez-Cienfuegos López de Hierro & Carrillo-Gallego, 2011, p. 117).

Difficultés phonologiques identifiées chez les apprenants hispanophones

D'après les études menées par Michèle Freland-Ricard et Isabelle Guaïtella en 1996, “l'influence des patrons mélodiques et rythmiques de la L12 peuvent provoquer une altération dans l'organisation syntaxique et prosodique de la L23” (cités par Vargas, 2011, p. 195). Pour ainsi dire, les règles phonologiques qu'un sujet acquiert dans sa langue maternelle produiraient certaines interférences lors de l'apprentissage d'une seconde langue. Ces interférences peuvent être positives par exemple lors de la production d'accents tonals similaires en français et en espagnol. Cependant, ces interférences peuvent également être source de difficultés pour l'apprenant. Par exemple, d'après l'étude menée par Fabián Santiago Vargas (2011), les apprenants hispanophones peuvent éprouver des difficultés au niveau de la production de certaines phrases —notamment de confirmation, de disjonction et celles composées de plus de trois groupes de mots accentués— dans lesquelles des différences dans les mouvements mélodiques à la fin des unités prosodiques s'observent. En outre, Vargas (2011) met en évidence d'autres difficultés au niveau de l'accentuation de certaines syllabes et de la délimitation des groupes accentuels.

Finalement, Alberto Carcedo-González (1994) précise que l'intonation permet bien sûr de distinguer différents types d'énoncés —affirma­tion, question, exclamation, etc.— mais elle permet également de donner des informations strictement personnelles (sexe, âge, état d'esprit, attitudes et sentiments) et relatives au groupe auquel appartient un individu (provenance géographique, groupe social, niveau culturel, etc.). C'est pour cette raison que “tout cela peut être confus pour l'étudiant au moment de choisir le patron mélodique correct qui doit s'appliquer à un contenu déterminé” (Vargas, 2011, p. 262).

Le choix des erreurs fossilisables

Qu'est-ce que la fossilisation?

La fossilisation est définie par Larry Selinker (1992) comme la stabilisation de “certains items, règles et sous-systèmes dans la phase d'interlangue” de l'apprenant (cité par Sánchez-Iglesias, 2003, p. 382). Celle-ci arrive indépendamment de l'âge de l'apprenant ou de la quantité d'instruction reçue. Cela signifie que dans le processus d'acquisition d'une langue étrangère, l'individu se construit un système approximatif, instable, variable qui évolue au fur et à mesure que l'interlangue se développe. Certaines erreurs disparaissent, quelques-unes restent latentes et resurgissent occasionnellement et d'autres ne sont jamais éradiquées; la permanence à long terme de ces dernières correspond à la fossilisation. Ce phénomène résulte de la combinaison de certaines conditions et circonstances qui favorisent son apparition.

Du point de vue de la linguistique appliquée, ces conditions et circonstances peuvent être liées :

à la satisfaction communicative, c'est-à-dire la compréhension globale de la part des interlocuteurs natifs lorsqu'un apprenant s'exprime en langue étrangère, qui provoque qu'une fois que ce dernier atteint un certain niveau de communication, sa langue cesse de progresser et certains aspects se fossilisent (Zhao Hong Han & Larry Selinker, 1996, cités par Sánchez Iglesias, 2003);

aux caractéristiques de l'input4 qui, dans le cours de langue, ne sont pas toujours les plus adéquates et qui s'ajoutent à un output5 la plupart du temps insuffisant pour acquérir les contenus linguistiques et encore moins pour éviter et corriger la fossilisation (Rod Ellis, 1993, cité par Sánchez Iglesias, 2003).

Qu'est-ce qu'une erreur fossilisable?

Sonsoles Fernández (1996) différencie les erreurs en deux catégories: les erreurs de développement (ou transitoires) et les erreurs fossilisables (ou permanentes). Les erreurs dites de développement apparaissent rarement dans les niveaux avancés et si c'est le cas, elles sont dues à un manque d'attention, à la fatigue ou bien encore aux nerfs. Ces erreurs peuvent être corrigées par l'apprenant lui-même par la formulation de nouvelles hypothèses sur le fonctionnement de la langue. Par opposition, les erreurs fossilisables sont des erreurs qui réapparaissent dans des étapes successives de l'apprentissage de la seconde langue, autrement dit à différents moments de l'interlangue de l'apprenant. Il s'agit de structures qui sont diverses et qui offrent une certaine résistance, c'est-à-dire qui représentent une difficulté particulière pour l'apprenant. Pour ce même auteur, il est essentiel d'intervenir sur ces dernières pendant leur phase de stabilisation avant qu'elles ne soient totalement fossilisées. Pour ce faire, il faut offrir un contexte linguistique riche et varié pour que l'apprenant formule de nouvelles hypothèses concernant le fonctionnement de la langue cible. Il est également important d'éviter des explications trop simples ou bien au contraire trop théoriques car elles peuvent affecter le processus d'acquisition (Baralo, 1996, citée par Sánchez-Iglesias, 2003).

De plus, José Manuel Martín-Morillas (1983) précise que le phénomène de fossilisation est en étroite corrélation avec le feedback que les apprenants reçoivent. Si le feedback que l'apprenant reçoit est positif alors qu'il commet des erreurs, ces erreurs tendront à se fossiliser. En revanche, si le feedback reçu est négatif car les normes utilisées sont inadéquates ou inappropriées, l'apprenant se sentira obligé soit de les corriger ou bien alors d'éviter de les employer lors des interactions à venir. Ce phénomène est appelé “évitement de l'erreur".

En somme, l'étude de la fossilisation chez les non-natifs implique l'identification des sources et de types d'erreurs aussi bien que l'analyse des facteurs liés à l'entourage pédagogique et ceux d'ordre neurolinguistique tels que l'attitude ou la motivation par exemple.

Les erreurs fossilisables en phonétique et phonologie du français des étudiants de la Licence en Langues Modernes de l'Université Pontificale Javeriana

Le domaine d'étude et les participants

Cette étude a été menée à l'Université Pontificale Javeriana institution d'enseignement supérieur privée située à Bogota, auprès d'une cinquantaine d'étudiants qui apprennent le français dans le cadre de leurs études de Licence en Langues Modernes (LLM) que propose la Faculté de Langues et Communication. Les étudiants qui ont participé à cette étude ont entre 20 et 24 ans et ont un niveau intermédiaire de français (niveau B2 selon le Cadre européen commun de référence pour les langues – CECRL). Il est important de préciser que, dans cette institution, l'apprentissage du français se déroule sur 6 niveaux correspondants à 6 semestres universitaires. Les étudiants de niveau 5 ont obligatoirement passé l'examen du DELF6 de niveau B1 du CECRL, qui correspond à environ 300 heures d'apprentissage, et les étudiants finalisant le niveau 6 doivent présenter l'examen du DELF de niveau B2 du CECR correspondant à environ 500 heures d'apprentissage du français. Pour cette recherche, nous avons donc décidé de nous intéresser à la totalité des étudiants de ces deux derniers niveaux car ils terminent leur apprentissage du français dans le cadre universitaire et vont prochainement être diplômés.

D'autre part, nous avons compté sur la participation de cinq professeurs de français qui travaillent au sein de l'université et donnent cours à ces mêmes étudiants de derniers niveaux.

Objectif et type d'étude

L'objectif principal de cette étude de type descriptif est d'identifier les erreurs fossilisables que les étudiants des derniers niveaux (niveaux 5 et 6) de français de la Licence en Langues Modernes de l'Université Pontificale Javeriana commettent en phonétique et en phonologie.

Nous exposerons dans les paragraphes suivants les instruments et techniques que nous avons utilisés pour l'identification de ces erreurs. Dans un second temps, nous présenterons la méthodologie retenue afin de clas­sifier les erreurs identifiées.

Instruments et techniques de collecte de données

Nous rendrons compte des trois instruments utilisés dans le cadre de cette étude, c'est à dire du questionnaire que nous avons réalisé auprès des étudiants des derniers niveaux de français, des entretiens que nous avons menés auprès de leurs professeurs et finalement, de l'analyse des productions orales des étudiants concernés.

Questionnaire en ligne

Un total de 46 étudiants (de niveaux 5 et 6 confondus) a répondu au questionnaire que nous avons élaboré et mis en ligne7 afin d'avoir un premier aperçu, du point de vue de ces derniers, des erreurs qu'ils peuvent commettre en ce qui concerne la phonétique et phonologie du français. Cette quantité d'étudiants est un échantillon représentatif pour notre étude car elle couvre un haut pourcentage de la population d'étudiants des cours de français de niveau 5 et 6 de la LLM.

Ce questionnaire est composé de 14 questions, majoritairement fermées ou à choix multiples, qui se basent sur notre expérience en tant qu'enseignants de Français Langue Étrangère, FLE, avec ce type de public. Ces questions reposent donc sur des hypothèses que nous avons émises en ce qui concerne les erreurs fossilisables que peuvent commettre ces étudiants en phonétique et phonologie du français. Ci-dessous, les figures 1 et 2 présentent quelques extraits du questionnaire.

Figure
1 

Question
5 relative à la prononciation des phonèmes [ ɑ ̃ ], [ɛ̃] et [ ɔ̃ ]
Figure 1
Figure 1 Question 5 relative à la prononciation des phonèmes [ ɑ ̃ ], [ɛ̃] et [ ɔ̃ ]


élaboration propre

Figure
2 

Question
8 relative à la discrimination des phonèmes [v]-[b], [s]-[z] et [ʒ ]-[ʃ ]
Figure 2
Figure 2 Question 8 relative à la discrimination des phonèmes [v]-[b], [s]-[z] et [ʒ ]-[ʃ ]


élaboration propre

Finalement, le questionnaire propose deux questions ouvertes (cf figures 3 et 4) qui laissent la liberté aux étudiants de formuler le contenu de la réponse, d'en choisir sa forme et sa longueur:

Figure
3 

Question
10 relative à la phonétique française
Figure 3
Figure 3 Question 10 relative à la phonétique française


élaboration propre

Figure
4 

Question
14 relative à la phonologie française
Figure 4
Figure 4 Question 14 relative à la phonologie française


élaboration propre

Ces deux dernières questions ont permis aux étudiants d'apporter une réflexion plutôt personnelle sur les raisons pour lesquelles ils pensent commettre les erreurs préalablement citées dans le questionnaire.

Entretiens semi-directifs

Des entretiens individuels ont été réalisés auprès de cinq professeurs de français qui donnent cours aux étudiants des derniers niveaux à l'Université Pontificale Javeriana dans la cadre de la LLM.

Ces entretiens se sont déroulés au sein même de l'université et ont été enregistrés. Ils ont comme premier objectif de collecter des données sur les erreurs que commettent, de manière systématique et répétée, ces étudiants au niveau de la phonétique et phonologie françaises. Ils ont également permis aux professeurs interviewés de s'exprimer sur la cause de l'erreur et la méthodologie à employer pour les corriger.

Nous avons choisi de mener des entretiens de type semi-directif, c'est à dire basés sur quelques questions guides ouvertes auxquelles nous souhaitions que les professeurs répondent:

1. Quelles erreurs persistent chez les étudiants des niveaux 5 et 6 de la LLM en ce qui concerne la phonétique et phonologie du français? Nous entendons par là, les erreurs dites persistantes, systématisées ou bien encore fossilisables, que les étudiants commettent mais qui correspondent peut-être à un niveau antérieur d'apprentissage.

2. À votre avis, pourquoi ces erreurs sont persistantes?

3. Comment pourrait-on remédier à ces erreurs?

Le type d'entretien retenu a permis aux professeurs de parler ouvertement en utilisant les mots qu'ils souhaitaient et dans l'ordre qui leur convenait. Grâce à ce procédé, nous avons pu recentrer l'entretien sur les thèmes qui nous intéressaient et relancer les professeurs interviewés sur les sujets qui nous paraissaient importants à développer.

Documents de production orale

Dans un premier temps, nous avons écouté les productions orales de tous les étudiants participant à notre étude. Néanmoins, nous avons décidé d'analyser seulement 12 documents car nous avons remarqué que les erreurs identifiées se répétaient. Il faut préciser que ces documents ont été enregistrés ou filmés en dehors de l'université. Les consignes données aux étudiants étaient les suivantes:

1. Présentez-vous: parlez de vos goûts et activités puis de votre intérêt pour l'apprentissage du français (3 à 5 minutes).

2. Présentez un événement historique de votre choix (minimum 5 minutes).

Comme vous pouvez le constater, la première consigne donnée peut paraître un peu simple pour des étudiants de niveau B1 à B2. Cependant, celle-ci nous a permis de mettre en confiance les étudiants participant à cette étude et de leur permettre de parler avec fluidité de thèmes personnels, c'est-à-dire de sujets qu'ils maîtrisent oralement. La deuxième consigne est quant à elle plus adaptée au niveau des étudiants. Cependant, il est important de remarquer que la difficulté des consignes données n'a pas d'influence sur l'apparition des erreurs que ce soit au niveau de la phonétique et de la phonologie ou bien encore à d'autres niveaux linguistiques. En effet, rappelons que notre étude porte sur l'identification des erreurs fossilisables qui réapparaissent de manière systématique à différents moments de l'interlangue de l'apprenant (Fernández, 1996): que la consigne à développer soit facile ou difficile, les erreurs, si elles sont fossilisables, apparaîtront donc dans le discours de l'étudiant.

Une fois toutes les erreurs identifiées, nous nous sommes basés sur la classification proposée par Angélica Alexopoulou (2005) et nous avons retenu, plus spécifiquement, deux types de critères. Le premier critère retenu est le critère linguistique de l'erreur qui, dans notre cas, correspond au niveau phonétique et phonologique de la langue. Pour ces deux niveaux, nous avons établi les catégories et sous-catégories suivantes:

1. Pour le niveau phonétique:

a. Les voyelles

a.a. Les voyelles fermées

a.b. Les voyelles nasales

a.c. Les semi-voyelles

Les consonnes

b.a. Les consonnes

b.b. Les consonnes finales

b.c. Le [ə] instable

2. Pour le niveau phonologique:

a. La liaison et l'enchaînement

b. L'intonation

c. La fluidité

Finalement, nous avons repris et adapté le critère descriptif proposé par Angélica Alexopoulou (2005) qui classifie les erreurs en termes de différences entre l'énoncé de l'apprenant et la version reconstruite. Nous tentons ici d'illustrer par des exemples les quatre catégories du critère descriptif proposé par cet auteur:

a. Ajout: apparition injustifiée d'un phonème qui ne devrait pas être prononcé dans un mot ou groupe de mots. Exemple: le mot blan c prononcé [blɑ̃ k*] au lieu de [blɑ̃ ]

b. Omission: absence d'un phonème qui devrait se prononcer dans un mot ou dans un groupe de mots. Exemple: le mot bu s prononcé [by*] au lieu de [bys]

c. Mauvais choix: choix incorrecte d'un phonème dans un mot ou groupe de mots. Exemple: le mot poisson prononcé [pwazɔ̃ *] au lieu de [pwasɔ̃ ]

d. Mauvais emplacement: emplacement incorrect d'un phonème dans un mot. Exemple: le mot entreprise prononcé [ɑ̃ tə p iz*] au lieu de [ɑ̃ t əp iz]

Analyse des résultats

Cette dernière partie vise à présenter l'analyse des résultats obtenus grâce aux différents instruments de collecte de données que nous avons utilisés dans le cadre de cette recherche: le questionnaire mené auprès des étudiants, les entretiens menés auprès des professeurs et l'analyse des documents de production orale (enregistrements et vidéos) des étudiants.

Nous proposons ici une triangulation, ou croisement, des résultats (cf. figure 5) afin d'éviter les risques de biais ou de subjectivité qui pourraient être présents dans cette étude de type qualitative.

Figure
5 

Triangulation
des données
Figure 5
Figure 5 Triangulation des données


élaboration propre

Suite à la triangulation des résultats, nous avons pu identifier les erreurs fossilisables qui sont présentées dans le tableau 1 ci-dessous et que nous détaillons dans les paragraphes suivants:

Tableau 1
Tableau 1 Tableau récapitulatif des erreurs fossilisables de production orale
Tableau
1 

Tableau
récapitulatif des erreurs fossilisables de production orale


élaboration propre

Tableau 1 pt2
Tableau récapitulatif des erreurs fossilisables de production orale

Tableau
récapitulatif des erreurs fossilisables de production orale


élaboration propre

Difficultés identifiées au niveau de la phonétique du français

La différenciation des phonèmes [oe]-[ø] et des phonèmes [ɛ]-[e]

Tous les professeurs interviewés coïncident sur le fait que les étudiants éprouvent des difficultés au niveau de la différenciation des phonèmes [oe]-[ø] et [ɛ]-[e]. Il est évident que l'inexistence des phonèmes [oe] et [ø] et de la nuance phonique entre [ɛ] et [e] dans la langue maternelle des apprenants, qui rappelons-le est l'espagnol, explique en partie ces difficultés.

D'autre part, les résultats du questionnaire nous révèlent un tout autre aspect des plus intéressants: 50% des étudiants qui ont répondu au questionnaire avouent présenter des difficultés lors de la prononciation de la combinaison des voyelles “ei” et des voyelles “eu”. Ce problème de prononciation pourrait être mis en relation avec la difficulté qu'ont les étudiants à différencier les phonèmes [oe] - [ø] et [ɛ] - [e]. Nous pourrions alors en déduire que si l'étudiant n'est pas capable de différencier certains phonèmes, il ne sera pas non plus capable de les reproduire, et encore moins d'en reconnaître leurs graphies. Souvenons-nous des affirmations de Zahira Carles Navarro, Carmen Álvarez-Cienfuegos López de Hierro et Marisol Carrillo Gallego (2011) qui mettent en évidence que la simple répétition de mots et phrases ne permet parfois pas d'obtenir chez les étudiants hispanophones qui apprennent le français un niveau de prononciation acceptable. Pour ces mêmes auteurs, un entraînement graphophonologique dans la langue cible est primordial et permettrait aux apprenants d'améliorer leur activité de lecture et par conséquent, leur prononciation.

La prononciation de la voyelle [ y]

L'analyse des questionnaires, des entretiens et des documents de production orale ont mis en évidence que les étudiants éprouvent des difficultés au niveau de la prononciation de la voyelle fermée [y] qu'ils ont tendance à prononcer [u]. Cette voyelle s'avère en effet difficile à prononcer pour un étudiant hispanophone qu'elle soit située au début d'un mot (comme dans humain), au milieu (comme dans impulsion) ou à la fin du mot (comme dans salut).

De plus, les apprenants sont en général conscients de ce phénomène car 37% des étudiants qui ont répondu au questionnaire avouent éprouver des difficultés au niveau de la prononciation de cette voyelle. Cette difficulté pourrait être due à un problème de phonétique acoustique. C'est ainsi que la voyelle [y], qui est une voyelle antérieure8 (encore appelée aiguë), est alors prononcée [u], voyelle postérieure9 (ou grave).

La prononciation des semi-voyelles

Lors de l'analyse des résultats, la prononciation des semi-voyelles [ɥ] et [j] apparaît également problématique comme par exemple dans les mots puisque et joyeux

Comme pour le son [y], le problème de prononciation du son [ɥ] semble être dû à son niveau acoustique. Cette semi-voyelle est alors prononcée dans la plupart des cas [wi].

D'autre part, le questionnaire nous révèle que la difficulté pour prononcer le son [j] pourrait non seulement être due à un problème d'articulation mais également à un problème de reconnaissance graphique. Si nous prenons comme exemple le mot tuyau, nous nous rendons compte que la juxtaposition de quatre voyelles qui se suivent peut confondre l'étudiant à ce niveau d'apprentissage. Un autre exemple serait le mot ail que l'étudiant par généralisation des règles de prononciation aura tendance à prononcer [ɛl].

La prononciation des voyelles nasales

De la même manière, les voyelles nasales [ɑ̃ ], [ɛ̃] et [ɔ̃ ], inexistantes en espagnol, sont également sources de difficultés. L'étudiant hispanophone va alors remplacer ces voyelles nasales par une voyelle orale suivie d'une consonne nasale. La voyelle nasale [ɑ̃ ] aura donc tendance à être prononcée [an] / [am] ou [ɛn] / [ɛm]; la voyelle nasale [ɛ̃] sera prononcée la plupart du temps [in] / [im]; et la voyelle [ɔ̃ ] sera pro­noncée [ɔn] / [ɔm].

Comme pour les semi-voyelles, ce problème de prononciation s'ajoute à un problème de reconnaissance graphique. Comme le révèle le questionnaire, si les étudiants ont conscience de ces difficultés, leurs réponses mettent en évidence que le phonème [ɛ̃ ] leur poserait plus de difficultés que le phonème [ɑ̃ ] et [ɔ̃ ]. Ceci pourrait être dû aux diverses graphies possibles du son [ɛ̃ ]: “in”, “im”, “ein”, “ain”, “yn”, “ym”, “un”, “um” et “en”.

La prononciation de la voyelle [ə] instable

La voyelle [ə] instable en fin de mot peut également être source de difficulté pour la population concernée. Selon l'un des professeurs interviewés, il peut effectivement y avoir des confusions en ce qui concerne la prononciation de la voyelle finale “e” des verbes conjugués. Si les verbes sont mal prononcés (exemple: j'aime / j'ai aimé / j'aimais), le récepteur du message est alors incapable de savoir si l'émetteur souhaite s'exprimer au présent, au passé composé ou à l'imparfait. De ce fait, nous pouvons donc affirmer que, dans certains cas, la mauvaise prononciation d'un phonème peut entraîner une déformation du sens du mot et aboutir à un malentendu ou à l'incompréhension du message à transmettre.

Par ailleurs, le questionnaire met en évidence qu'en général les étudiants prononcent de manière systématique le [ə] instable lorsqu'il est présent en milieu de mots (par exemple: maintenant ou j'achèterai) et également lorsqu'il s'agit d'articles ou de déterminants (par exemple: chez le coiffeur ou à côté de la gare). Comme nous avons pu le remarquer lors de l'analyse des documents de production orale réalisés par les étudiants, ce dernier aspect a bien sûr une répercussion négative sur le rythme de paroles, l'intonation des énoncés mais également sur la fluidité générale du discours.

La différenciation et prononciation des consonnes [v]-[b], [s]-[z ] et [ʒ]-[ʃ]

En ce qui concerne les consonnes, l'ensemble des instruments de collecte de données mettent en avant la difficulté que les étudiants ont pour différencier les paires consonantiques suivantes: [v]-[b], [s]-[z] et [ʒ]-[ʃ]. Mais au-delà de la différenciation, les étudiants éprouvent également des difficultés pour prononcer:

• la consonne labiodentale10 [v] est prononcée [b], consonne bilabiale11. Nous remarquons ici un problème au niveau du point d'articulation de ces deux phonèmes.

• la consonne sonore12 [z] est prononcée [s], son sourd13. Il s'agit ici également d'un pro­blème articulatoire.

• le phonème [ʒ] a tendance à être prononcé [dʒ] en début de mot (par exemple: je pro­noncé [dʒ]) et [) et link https://fr.wikiped: âge prononcé [ap]).

• la consonne constrictive14 sourde [ur est prononcée en général [te] surtout en début de mot (par exemple: chez prononcé [tpr]).

La prononciation de la consonne [s] en début de mot

Lors de l'analyse des résultats, nous avons également remarqué que les étudiants ont tendance à prononcer le phonème [s] en début de mot [es] comme dans spectaculaire, spécial ou structure. Ce phénomène est spécifique car il n'apparaît pas lorsque le phonème [s] est placé en milieu de mot. Nous pouvons ici penser que cela est dû au fait que dans la langue maternelle des apprenants en question, un mot ne commence jamais par un “s” suivi d'une consonne. En espagnol, les exemples précédents commencent par un “e”: espectacular, especial et estructura.

La prononciation de la consonne finale

L'analyse des données obtenues montrent que quelques étudiants prononcent la consonne finale de certains mots comme par exemple dans mort, temps, plumes et travailler . Néanmoins, ce type d'erreur n'apparaît que de manière ponctuelle et n'est pas généralisé à tous les mots qui terminent par une consonne.

D'autre part, les étudiants disent avoir plus de difficultés pour omettre la prononciation des consonnes [p] en fin de mot comme dans sirop et [k] comme dans tabac. Nous pouvons donc penser que ces phénomènes, étant plus rares et même étant perçus comme des exceptions dans la langue française, sont de ce fait plus difficiles à acquérir pour les apprenants.

Difficultés identifiées au niveau de la phonologie du français

La liaison et l'enchaînement

Au niveau de la liaison et de l'enchaînement, plusieurs cas se présentent:

a. Omission de la liaison (par exemple: vingt et un ∅ ans) ou de l'enchaînement (par exemple: j'habite ∅ en Colombie);

b. Ajout de la liaison avec les mots qui commencent par un “h” aspiré (par exemple: très haut);

c. Mauvais choix de liaison (par exemple: quand il a essayé, liaison faite en [d] au lieu de [t] ou vingt ans, liaison faite en [n] au lieu de [t]).

L'analyse de données recueillies nous révèle que les règles et exceptions de liaison et d'enchaînement ne sont pas maîtrisées par la majorité des étudiants. D'ailleurs, ces mêmes exceptions sont la plupart du temps source d'erreurs pour les apprenants en question. Il est évident que ces erreurs affectent également le rythme et la fluidité générale du discours.

Rythme et intonation

En ce qui concerne l'intonation des phrases du discours, nous remarquons que l'influence de la langue espagnole est très présente. La plupart des étudiants ont tendance à accentuer la fin de chaque phrase (par exemple: Maintenant, j'ai vingt ans . (↗)) même si ces dernières ne sont pas des interrogations. De plus, nous pouvons dire, qu'en général, un effort est effectué au niveau de la prononciation du mot isolé mais très peu lorsqu'il s'agit de groupe de mots.

Pourtant, si l'on reprend les propos de Élisabeth Guimbretière (1994), “la forme et la courbe de la ligne mélodique peuvent être elles-mêmes porteuses de signification” (p. 41). Soit la réalisation intonative d'un énoncé va renforcer sa syntaxe, il y aura alors concordance entre syntaxe et intonation, soit elle va lui donner un sens. Dans ce cas, l'intonation seule donne la signification du message sans laquelle un énoncé pourrait être interprété de façon différente (Guimbretière, 1994). Une bonne intonation est de ce fait indispensable à la bonne interprétation d'un énoncé.

D'autre part, un des professeurs interviewés met en avant un problème relatif aux marques prosodiques de type là, euh, bah, ben, oh, etc. que les étudiants comprennent, car écoutent constamment, mais qu'ils n'imitent pas. Selon ce professeur, c'est pourtant par l'utilisation de ces procédés, encore appelés “tics” intonatifs et rythmiques par Élisabeth Guimbretière (1994), que les étudiants pourraient “enrichir leur discours” en exprimant leurs sentiments ou leur état d'esprit à travers des variations de rythme ou l'utilisation de pauses (p. 41).

Réflexion sur les possibles causes des erreurs identifiées

La théorie de l'interférence

Il est évident que les causes de la fossilisation de l'erreur sont diverses. Tous les professeurs interviewés sont cependant d'accord sur le fait que les erreurs fossilisées peuvent être dues aux interférences avec la langue maternelle de l'apprenant, c'est-à-dire avec l'espagnol.

Comme l'explique Élisabeth Guimbretière (1994), “la théorie de l'interférence part du fait que le crible auditif d'un individu se stabilisant autour de l'âge de dix ans, il lui devient par la suite extrêmement difficile d'entendre et donc de reproduire certains sons, notamment ceux qui n'existent pas dans sa langue“ (p. 17). On parlera alors d'interférence lorsque l'apprenant utilisera en langue étrangère un élément de sa langue maternelle qu'il croit identique même si celui-ci est en réalité différent. Par exemple, ne possédant pas le son [y] dans sa langue maternelle, l'apprenant prononcera [u] à la place de [y]. Il assimilera naturellement ces deux sons car ils ont des caractéristiques communes sur le plan acoustique et articulatoire.

Cependant, la question est bien plus complexe: cette théorie fonctionne dans le cas d'apprenants débutants mais ne peut tout expliquer lorsqu'il s'agit, comme dans le cadre de cette recherche, d'étudiants de niveau intermédiaire de français.

Des pratiques enseignantes à remettre en question

Au-delà des interférences entre langue maternelle et langue à ap­prendre, bien d'autres aspects sont à l'origine de la fossilisation des erreurs. Tout d'abord, la plupart des professeurs mettent en avant le manque d'exposition à la langue à apprendre. Nous retrouvons ici l'une des causes de la fossilisation de l'erreur évoquée par Rod Ellis (cité par Sánchez-Iglesias, 2003) qui, rappelons-le, argumente que les caractéristiques de l'output dans la classe de langue sont la plupart du temps insuffisantes pour acquérir les contenus linguistiques (dans notre cas, phonétiques et phonologiques) et encore moins pour éviter et corriger la fossilisation.

La deuxième raison mentionnée par les professeurs interviewés peut être mise en relation avec la méthodologie enseignante utilisée en cours. D'après ces derniers, il ne faut pas seulement corriger l'erreur mais également l'étudier. La seule correction de l'erreur ne permettrait pas à l'apprenant de ne plus la commettre par la suite. Il n'y a en effet aucun intérêt à ce que l'apprenant imite et répète la forme correcte sans savoir pourquoi. Il est important qu'il puisse prendre conscience de ses erreurs et comprendre au niveau acoustique et articulatoire le fonctionnement de chaque phonème.

Finalement, comme nous l'avons cité plusieurs fois, un entraînement graphophonologique est primordial car la simple répétition de mots et phrases ne permet parfois pas d'obtenir chez les étudiants hispanophones qui apprennent le français un niveau de prononciation correcte (Carles-Navarro, Álvarez-Cienfuegos López de Hierro & Carrillo-Gallego, 2011).

Conclusion de l'étude

Dans ce travail de recherche, nous avons tenté d'identifier les erreurs fossilisables de phonétique et de phonologie du français chez des apprenants hispanophones. Au niveau phonétique, nous avons pu mettre en évidence des difficultés liées à la prononciation des voyelles fermées, des semi-voyelles, des voyelles nasales et de la voyelle [ə] instable; nous avons également pu identifier des difficultés pour différencier les voyelles [ɛ]-[e] et [oe]-[ø], les consonnes [v]-[b], [s]-[z] et [ʒ]-[ʃ] et finalement, des erreurs fossilisables dans la prononciation des consonnes finales et du phonème [s] en début de mot. En ce qui concerne les aspects phonologiques du français, les erreurs fossilisables identifiées se concentrent principalement au niveau de la liaison et de l'enchaînement puis du rythme et de l'intonation.

Dans le cadre d'un programme de formation de futurs enseignants en langues étrangères comme la LLM, le développement de la seule compétence communicative, qui occupe une place privilégiée dans le contexte actuel, n'est pas suffisante pour garantir la formation de ces futurs enseignants. Il devient donc nécessaire de développer chez l'apprenant la maîtrise des habilités de compréhension et d'expression orales dans les aspects phonétiques et phonologiques qui sont essentiels dans la communication et dans les processus d'enseignement/apprentissage des langues étrangères.

Des recherches futures pourraient tenter d'identifier les causes de ces erreurs fossilisables, ce qui ouvrirait des discussions et des réflexions pour la présentation de nouvelles stratégies pédagogiques et méthodologiques afin de surpasser certaines de ces problématiques, tenant compte des propositions théoriques présentées depuis des années, comme la méthode de correction verbo-tonale15 et d'autre part, de l'intégration des concepts fondamentaux de phonétique simplifiés et adaptés; il semble en effet inutile d'introduire une terminologie utilisée par des spécialistes dans le cours de langue. Ces contenus, dûment dosés, aideraient les enseignants en formation à développer une attitude réflexive face à l'apprentissage du comportement de la matière phonique de la langue étudiée. De même, la conception et l'adaptation d'activités favorisant l'observation accompagnées d'une pratique systématique dans des contextes facilitants (Calla­mand, 1981), constituerait un outil pédagogique efficace. La conception d'une telle méthodologie peut être l'objet d'une recherche postérieure. Nous espérons également que les pistes de réflexion présentées dans cet article donneront naissance à d'autres études sur les erreurs fossilisables soit avec un type de public différent, soit à un autre niveau linguistique comme par exemple la morphosyntaxe, la sémantique ou la pragmatique.

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Notes

1 L'auteur a ici décidé de remplacer l'opposition vocalique [oe] et [ø] par l'archiphonème [OE].

2 Les auteurs utilisent ici “L1” pour se référer à la langue maternelle.

3 Les auteurs utilisent ici “L2” pour se référer à la langue seconde.

4 Nous retiendrons par input, “l'ensemble des connaissances transmises à l'apprenant” (Valenzuela, 2010, p. 85).

5 Nous retiendrons par output, “ce que l'apprenant a assimilé et est capable de produire à la fin de son apprentissage” (Valenzuela, 2010, p. 85).

6 Diplôme d'Étude en Langue Française délivré par le Ministère français de l'Education Nationale.

7 Le questionnaire est disponible sur https://docs.google.com/forms/d/1rrpKb4eudO50oQesh6 ueo7q9Litfnp8ifAw-gkKB3rU/edit

8 Une voyelle est dite antérieure ou aiguë lorsque le bout de la langue se déplace vers l'avant de la bouche.

9 Une voyelle est caractérisée de postérieure ou grave lorsque le dos de la langue se masse dans l'arrière de la bouche.

10 Une consonne est dite labiodentale lorsque la lèvre inférieure entre en contact avec les dents.

11 Une consonne est dite bilabiale lorsque lèvre inférieure et lèvre supérieure entrent en contact.

12 Une consonne est caractérisée de sonore lorsque les cordes vocales vibrent.

13 La consonne est dite sourde quand il n'y a pas de vibration des cordes vocales.

14 La consonne est dite constrictive quand il y a rétrécissement du passage de l'air qui produit un bruit de friction ou de frôlement.

15 La méthode verbo-tonale de correction phonétique est “une méthode structuro-globale et structurante de correction phonétique qui préconise une intégration non intellectualisée du matériel phonique et assure la mise en place de conditions optimales de perception/reproduction, soit par la sélection de positions et d'environnements favorables, soit par l'intervention directe dans l'émission des messages pour restructurer la perception auditive du sujet et le sensibiliser aux éléments non perçus” (Intravaia, 2013).

* Description de l'article | Descripción del artículo | Article description: En este artículo, derivado de la investigación Identificación de errores fosilizables de fonética y fonología del francés, los autores presentan una investigación científica que fue llevada a cabo entre 2016 y 2017, cuyo principal objetivo es identificar y clasificar los errores fosilizables que los estudiantes de la Licenciatura en Lenguas Modernas de la Pontificia Universidad Javeriana de Bogotá, Colombia, cometen en la fonética y la fonología del francés. Este estudio se enfoca en los estudiantes de los niveles avanzados de la licenciatura (nivel B2 según el Marco Común Europeo de Referencia en Lenguas).

Notes aux auteurs

* Chloé Deswarte titulaire d'un Master II en Sciences Humaines et Sociales, spécialitéDidactique du français, de l'Université de Lille en France, a travaillé commeprofesseur de français et chercheuse à la Faculté de Communication et Langage àl'Université Javeriana de Bogota (2013-2017), Colombie. Actuellement, elle travailleà l'Université Santiago de Cali, Colombie, dans le Département de Langage et LanguesÉtrangères de la Faculté d'Éducation.

** Fanny Janneth Baquero diplômée de la Licence en Philologie et Langues del'Université Nationale de Colombie. Titulaire d'un Master en Enseignement des LanguesÉtrangères de l'Université Pédagogique Nationale de Colombie et d'un MasterII en Analyse et Programmation de la Communication de l'Université de Nantes, France. Actuellement, elle travaille comme professeur du Département de LanguesÉtrangères à l'Université Nationale de Colombie et à la Faculté de Communicationet Langage à l'Université Javeriana de Bogota, Colombie.

*** Javier Hernando Reyes-Rincón professeur associé à plein temps à la Faculté deCommunication et Langage à l'Université Javeriana de Bogota, Colombie. Titulaired'un master en Littérature et Lettres Modernes de l'Université de Bretagne Occidentale,France, et d'un master en Linguistique de l'Université Nationale de Colombie. Il apublié des recherches dans le domaine de la sémiotique publicitaire et de l'écritureacadémique en situations de bilinguisme et d'interculturalité.

**** Carolina Plata Peñafort diplômée de la Licence en Philologie en français-espagnolde l'Université Nationale de Colombie. Titulaire d'un master en Didactique dufrançais de l'Université Stendhal Grenoble 3 – France et d'un master en LinguistiqueAppliquée à l'Enseignement de l'Español comme Langue Étrangère de l'UniversitéPontificale Javeriana, Colombie. Actuellement, elle est professeure associée à pleintemps du Département des Langues Modernes en français et en espagnol. Elledirige de travaux de recherche au niveau de Licence et de Master.

Information additionnelle

Pour citer cet article / Para citar este artículo / To cite this article: Deswarte, C.; Baquero, F. J.; Reyes-Rincón, J. H. Plata-Peñafort, C. (2020). Erreurs fossilisables de prononciation du français chez des apprenants hispanophones. magis, Revista Internacional de Investigación en Educación, 12(25), 59-76. doi: 10.11144/Javeriana.m12-25.efpf

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