L’existence de Dieu, une évidence en Amérique Latine?*

God’s Existence, an Obvious Fact in Latin America?

Theologica Xaveriana, vol. 70, 2020

Pontificia Universidad Javeriana

Véronique Lecaros a

Pontificia Universidad Católica del Perú, Perú


Reçu: 22/01/19

Accepté: 08/04/19

Résumé: L’auteure interroge dans cet article le lien entre croyance en Dieu et enchantement en contexte latino-américain et principalement liménien. Les concepts élaborés dans des régions sécularisées par Congar, Kasper, Taylor, Vattimo, Casanova, Berger, entre autres, doivent être repensés pour analyser cette zone qui s’ouvre depuis peu et simultanément à la modernité et postmodernité. L’auteure analyse la situation à partir de données proportionnées par des enquêtes et à partir d’une étude récente qualitative sur la religion vécue (2015-2017). Elle conclut: L’existence de Dieu est une “croyance forte” pour les Liméniens mais le contenu de la croyance en Dieu est “faible”, variable selon les circonstances.

Mots clés:Sécularisation, croyance en Dieu, enchantement et postmodernité, christianisme en Amérique Latine, appartenances religieuses, Pérou.

Abstract: The author analyzes the relationship between belief in God and enchantment in the Peruvian and, in general, in the Latin-American context. Concepts elaborated in secularized regions by Congar, Kasper, Taylor, Vattimo, Casanova and Berger, among others, must be redefined to be applied in countries which enter nowadays simultaneously in modernity and post-modernity. The author studies the situation using data from various polls and from a recent qualitative investigation on lived religion (2015-2017). She concludes: God’s existence is a “strong belief” for Limenians but the content of belief in God is “weak”, and it changes easily according to circumstances.

Keywords: Secularization, belief in God, enchantment and post-modernity, Christianity in Latin America, religious belonging, Peru.

RECONNAISSANCE

Reconnaissance à Gustavo Morello qui a dirigé le projet de recherche sur la religion vécue en Amérique Latine financée par la Templeton Foundation et à Catalina Romero qui a dirigé le projet à Lima.

INTRODUCTION

Le théologien Walter Kasper en une formule percutante résume son diagnostic sur la situation présente: “…dans le monde actuel sécularisé, il ne semble pas possible de rencontrer Dieu” 1 . Cette évaluation n’est pas propre à Kasper, elle correspond à un consensus dans lequel se retrouvent de nombreux auteurs, théologiens, philosophes et spécialistes des sciences humaines. Si aucun pays, avec l’accélération de la mondialisation, ne semble échapper totalement à la vague de sécularisation, il existe toutefois de grandes différences entre régions du globe.

Est ce que donc, dans les zones où la sécularisation ne s’est pas imposée, il est plus facile de rencontrer Dieu? Les enquêtes sociologiques à échelle mondiale semble justifier cette perspective. L’incroyance, ou en tout cas, l’indifférence religieuse, domine en Europe 2 . Aux États Unis où le taux de croyance restait exceptionnellement élevé par rapport aux autres pays industrialisés, une enquête du Pew Research Center révèle qu’un nombre croissant d’étatsuniens remettent en doute l’existence de Dieu (2012). Cependant au Pérou et en Amérique Latine en général, les taux de croyance frôlent les 98% 3 .

Nous nous proposons dans cet article d’interroger le lien entre croyance et absence de sécularisation ou enchantement selon le terme actuellement employé par les spécialistes de la région. Notre attention se porte principalement sur la transformation de l’enchantement dans un contexte en pleine évolution. Si certaines caractéristiques latino-américaines peuvent rappeler la situation européenne d’il y a quelques siècles, il existe un danger d’amalgame abusif en utilisant un terme qui provient d’un contexte européen. Les échanges, les progrès techniques et l’aspiration au bien-être matériel, conditions nouvelles en Amérique Latine, changent totalement les perspectives sur le divin.

Si effectivement, croyance en Dieu et enchantement s’articulent, de quel Dieu s’agit-il? Charles Taylor, à partir d’une réflexion sur l’Europe et le Canada, invite à s’interroger sur la relation complexe entre les deux phénomènes:

Quel rapport ce processus de désenchantement a-t-il avec la foi en Dieu? Il existe une mentalité non croyante de nos jours qui pense que la croyance en Dieu n’est qu’une modalité de cette vision d’un monde enchanté. [...] Mais cela est faux, [...] le christianisme à l’instar du judaïsme a eu des relations complexes, mais souvent hostiles avec le monde enchanté. 4

Suivant la suggestion de Taylor, nous considérons que l’enchantement n’est peut-être pas la panacée pour la foi. Il peut éventuellement entrer en contradiction avec elle. Dans un contexte changeant, l’enchantement ne garantit pas la stabilité des croyances et encore moins la fidélité à l’appartenance institutionnelle.

Dans un premier temps, nous nous proposons de présenter les termes généraux du débat, la manière dont à partir de différentes perspectives, théologie, philosophie et sciences humaines, il est abordé par les spécialistes. Ce panorama général devrait nous permettre d’élaborer une hypothèse qui tiennent en compte les différents phénomènes et indicateurs. Dans un deuxième temps, nous envisageons de mieux comprendre la signification du monde enchanté et de la foi dans le quotidien des Liméniens.

Pour ce faire, nous analysons des entretiens recueillis en 2015, 2016 dont le questionnaire est inspiré par les études sur la religion vécue, en particulier celles de Nancy Ammerman 5,6 . La méthode qualitative ne permet pas de généralisation mais elle peut ouvrir sur une meilleure compréhension de l’appréhension de l’au-delà et de l’articulation entre le “surnaturel” et le “naturel” ce qu’il est impossible de capter à partir d’enquête d’opinion. Finalement, nous nous interrogeons sur l’articulation entre la croyance en l’existence d’un Dieu et l’engagement chrétien.

L’AMÉRIQUE LATINE: UNE SÉCULARISATION ENCHANTÉE?

Á partir d’une perspective européenne, les indicateurs latino-américains semblent tellement contradictoires que seuls des oxymores permettent de capter une dynamique qui inclut des éléments jugés opposés par les spécialistes qui les ont forgés en étudiant d'autres réalités.

Pour bien comprendre le sens de cette réalité contrastée, voire paradoxale qui peut être observée aujourd’hui dans un continent en pleine transformation, il est nécessaire d’approfondir le sens du débat sur la croyance et la sécularisation en analysant comment les différents spécialistes envisagent les changements en cours. Nous désirons ainsi parvenir à formuler une hypothèse générale qui permette de dépasser les contradictions apparentes et d’envisager une logique autre.

En contexte postmoderne, la croyance en Dieu, une simple opinion?

Kasper souligne la profonde différence entre les perceptions de l’homme de l’antiquité ou de l’époque médiéval et l’homme d’aujourd’hui. Il affirme que “l’homme antique et médiéval était capable de percevoir en tout l’empreinte et le signe du divin. Le monde était partout diaphane pour Dieu” 7 . Ce que nous appelons le “surnaturel”, en contexte sécularisé, n’était autrefois qu’une modalité du réel, une perception tout aussi évidente et beaucoup plus significative que les “objets matériels” sans être peut-être tangible ou en tout cas, pas de la même façon 8 .

En des termes similaires, Yves Congar décrit le Moyen Âge comme une “culture homogène à celle de la foi” car elle se forme principalement à partir de textes d’auteurs consacrés de l’Antiquité 9 .

Le sociologue Peter Berger cite comme exemple de monde “enchanté”, suivant la terminologie en usage actuellement dans son domaine, une conversation entre Népalais sur un possible passage de l’oiseau mythique Garuda. Une jeune fille prétendait l’avoir vu, certains approuvaient, d’autres n’en étaient pas convaincus. Cependant, le point de désaccord ne concernait pas l’éventualité de pouvoir visualiser Garuda, ce qui était une évidence pour tous mais le passage de Garuda cette journée-là 10 .

En revanche, selon Kasper, les croyants d’aujourd’hui sont forcés de “vivre dans deux monde distincts”, la foi devient ainsi une “simple superstructure, une sorte d’idéologie pieuse” 11 . Cette manière d’aborder le réel s’est progressivement imposée à partir du siècle des lumières 12 . Elle a fomenté le développement d’une dynamique qui a conduit à la sécularisation telle que nous la connaissons aujourd’hui. D’une part, elle était indispensable pour l’analyse scientifique, avec ses paramètres actuellement dominants d’action efficace sur le réel; d’autre part, celle-ci, en retour, a contribué à conforter une perception scindée de la réalité fonctionnant à partir de logiques parallèles.

A juste titre, Congar dont la pensée a amplement influencé le Concile Vatican II, observe le processus moderne d’autonomie de la science par rapport à la religion. Critiquant le “concordisme” qui comme son nom l’indique cherche à prouver qu’il n’y a pas de contradiction entre les découvertes scientifiques et les textes bibliques, très en honneur à la fin du XIXème siècle, il reconnaît la nécessité d’une autonomie scientifique (“légitime autonomie de la science”, selon les termes de Gaudium et spes §36), même s’il s’érige contre une autonomie qui impliquerait la négation et l’indifférence à la foi 13 .

Le sociologue José Casanova, spécialiste de l’analyse de la sécularisation à niveau international a développé une grille d’évaluation qui prend en compte les variantes et les progressions relatives du phénomène qui dans un contexte de mondialisation, touche et influence l’ensemble du globe. Il est important de souligner que la sécularisation n’implique pas une disparition de la religion comme le prévoyait Émile Durkheim mais un repositionnement de la religion dans les domaines public et privé 14 .

Casanova distingue trois critères généraux principalement basés sur le développement de domaines fonctionnant à partir de logiques parallèles et autonomes. Il systématise le principe d’autonomie des sphères tel que l’a envisagé la “nouvelle théologie” au XXème siècle et tel que l’a reconnu le Concile Vatican II. Le premier critère est “la différenciation des sphères séculières [par sphères séculières, Casanova entend l’État, l’économie et la science] par rapport aux institutions et normes religieuses”, le deuxième correspond à la “diminution des croyances et pratiques religieuses” et finalement le troisième implique “la privatisation et marginalisation de la religion à la sphère privée” 15 .

Dans ce contexte de sphères autonomes et donc de pluralisme, l’absence “d’homogénéité”, pour reprendre l’expression de Lubac est la norme. Une vérité absolue englobant et régissant l’univers est insoutenable. La canopée (canopy) de la vérité selon le terme de Berger, s’est définitivement dissoute 16 . Entre vérités relatives et multiples, la croyance en Dieu tend à passer de la certitude à l’opinion, avec ou sans conviction, ce que reflète le sondage du Pew Research aux États Unis sur la croyance en Dieu 17 .

Le philosophe Gianni Vattimo, revenant à la foi après un long parcours, caractérise la foi du chrétien à l’époque postmoderne par l’expression “croyance faible” en opposition à ce qu’elle pouvait être dans un monde de “croyance forte” où l’existence d’une vérité absolue était une évidence, en d’autres termes avant “la mort de Dieu” telle que déclarée par Nietzsche. Le titre de l’ouvrage autobiographique de Vattimo, Credere di credere, traduit en français par Espérer croire mais qui pourrait aussi se traduire par “croire que je crois”, exprime bien le manque de certitude 18 .

Comme le note Camille Riquier commentant Vattimo, la croyance faible implique aussi un doute faible car seul ce qui est considéré comme certain peut être remis en cause 19 . Vattimo explicite ainsi sa position:

…pourquoi crois-je avoir compris que la foi religieuse, pour quelqu’un comme moi, qui a une certaine familiarité avec la philosophie contemporaine, mais aussi, et surtout, avec la vie postmoderne, ne peut avoir que ce sens intensément marqué par une incertitude de l’ordre de l’opinion? 20

Vattimo note aussi que cette croyance faible en Dieu reste soumise à la logique des sphères et donc de la pluralité d’abordage du monde: “…en un tel Dieu, on ne croit pas, au sens ‘fort’ de ce mot, comme si sa réalité était davantage prouvée que celle des choses sensibles ou des objets de la physique ou des mathématiques” 21 . Dans ce contexte, la croyance en Dieu (faible croyance car d’une certaine façon, il n’existe plus vraiment de croyance forte) ne représente plus le principe organisateur de la cosmovision de l’individu. Elle est une croyance parmi d’autres avec sa propre logique et son propre champ limité d’application.

Á partir d’une analyse sociologique, s’inspirant du théoricien Alfred Schutz, Berger parvient à une conclusion similaire 22 . Schutz distingue différents niveaux de certitude depuis la base qui est pour le sujet de l’ordre de l’évidence (“world taken for granted”). Á toutes les questions qui touchent ce niveau, le sujet répond spontanément, “bien sûr” (“of course”). En revanche, les autres conceptions sont de l’ordre de l’opinion, la personne peut douter et accepter de revoir ses idées si de nouvelles données les remettent en question.

Berger considère que la croyance en Dieu en Europe et en Amérique du Nord, en particulier, est passée de l’évidence à l’opinion. Cette situation explique les atermoiements et les incohérences dont font état les enquêtes sociologiques. Le doute s’installe dans la croyance qui reste très vague, sans véritable influence sur le quotidien de la personne.

La “croyance faible” de Vattimo et l’opinion ne sont pas des notions strictement équivalentes. La “croyance faible” peut impliquer des actions concrètes, des prises de position. C’est le cas de Vattimo qui écrit pour défendre une foi changée mais malgré tout significative en contexte postmoderne 23 . En revanche, l’opinion, s’inscrivant dans une cosmovision ordonnée en sphères séparées et peu ancrée dans le quotidien du sujet, n’influence pas vraiment ses décisions et peut donc changer sans susciter d’émoi profond.

Même si le monde n’est plus diaphane pour Dieu, selon le terme de Kasper, la croyance en Dieu n’est donc pas uniforme dans l’Occident sécularisé. Elle varie suivant les individus et la place qu’ils lui accordent dans leur quotidien: depuis la petite minorité de fondamentalistes qui s’essaient à recréer un monde homogène avec un succès limité, jusqu’aux croyants sans conséquence 24 .

L’enchantement à la latino-américaine

Alors qu’il existe un consensus dans l’analyse de la situation européenne, en revanche, en contexte latino-américain, les diagnostics semblent totalement opposés. Le “Document final” de la Vème Conférence Générale de l’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes (Aparecida, Brésil, 2007) fait état d’une situation de sécularisation jugée préoccupante par la hiérarchie. Dans son discours inaugural, le pape Benoît XVI fait référence à un changement qu’il interprète en terme de diminution de la présence catholique et désintérêt pour la religion.

On perçoit, néanmoins, un certain affaiblissement de la vie chrétienne dans l’ensemble de la société et au sein même de l’Église, dû au sécularisme, à l’hédonisme, à l’indifférence et au prosélytisme de nombreuses sectes, de religions animistes et de nouvelles expressions pseudo religieuses. (§2)

De plus, le cardinal Bergoglio (aujourd’hui pape François), en charge de la rédaction du document, considère que les peuples Latino-américains vivent aujourd’hui dans un “climat de sécularisation” (§264) 25 .

Par ailleurs, les spécialistes péruviens et latino-américains des sciences humaines considèrent que l’Amérique Latine, malgré les changements récents, ne suit pas l’évolution européenne, d’un point de vue religieux. Ils évitent de mentionner le paradigme de la sécularisation et préfèrent aborder la situation latino-américaine à partir de la notion d’enchantement, empruntée à Max Weber. En effet, celui-ci, le premier, a observé la progressive élimination de la dimension magique et théorisé le processus de rationalisation en cours dans les sociétés et les institutions européennes 26 .

L’ouvrage principal de l’anthropologue Manuel Marzal s’intitule, Tierra encantada (Terre enchantée) 27 . Plusieurs spécialistes de différents pays latino-américains Gustavo Morello, Nestor Da Costa, Hugo Rabbia et Catalina Romero, faisant un bilan de la situation actuelle dans la région, ont intitulé leur article “Enchanted Modernity” (“Modernité enchantée”) 28 .

Nous considérons que les deux diagnostics ne sont qu’apparemment contradictoires. Le choix d’angle d’observation ou le désir de polémique ont sans nul doute une incidence, cependant, ces disparités s’expliquent dans un contexte de pluralisme 29 . Le monde n’est plus “homogène” si tant est qu’il l’ait été totalement à une époque, il est devenu essentiellement divers. Les offres religieuses se sont multipliées. Le catholicisme qui exerçait un monopole sur la population devient une alternative parmi beaucoup d’autres. Dans certains pays, en particulier en Amérique Centrale, il est minoritaire et dans d’autres comme le Pérou, il a perdu plus de 30% de ses fidèles en quelques décennies 30 .

Cependant, la multiplicité doit se penser de manière beaucoup plus ample, comme la caractéristique spécifique de notre époque. Il ne s’agit pas seulement d’une myriade d’institutions religieuses proposant les formules les plus diverses mais de style de vie, priorités existentielles qui cohabitent et/ou se contredisent...

Les Liméniens, et la majorité des citadins Latino-américains, vivent dans un monde en dislocation. La plupart des Liméniens proviennent d’un monde rural presque immobilisé dans le passé depuis l’époque coloniale 31 . En une cinquantaine d’année, ces migrants et leurs descendants sont passés du XVIème siècle au XXIème. Le changement a été d’autant plus brutal que avec les politiques néolibérales des années 90, le Pérou s’est ouvert sans restriction sur le monde extérieur et ses modes de fonctionnement. La notion de “dislocation” reprise de Willems et employée par Jeffrey Klaiber correspond bien aux différentes perspectives et logiques auxquels se trouvent confrontés les Péruviens 32 .

Ces entrelacs de possibilités provoquent fréquemment dans l’individu des dissonances que celui-ci peut soit accepter et maintenir ou au contraire essayer de dépasser. Dans son dernier ouvrage, en partie un bilan d’une carrière bien remplie, Berger remarque qu’il est passé d’une conviction séculariste dans les années 60 à l’opposé. Il défendu la thèse de la “désécularisation” dans les années 90 pour finalement conclure en 2014:

…j’ai d’abord appartenu au premier groupe [théoriciens de la sécularisation], ensuite j’ai rejoint le second [leurs critiques] mais les deux groupes ont surestimé la cohérence de la conscience humaine. Dans l’expérience de la plupart des individus, la sécularisation et la religion ne sont pas contradictoires. 33

Á juste titre, Berger considère que des incohérences, du point de vue des théoriciens, ne troublent pas les individus. Le quotidien implique principalement des actions concrètes (souvent des automatismes) qui débouchent sur des résultats tangibles et il s’inscrit donc dans un “pragmatisme” d’efficacité 34 . Pour la plupart des individus qui ne sont pas des théoriciens chercheurs, la religion se vit avant de (ou sans) se penser 35 . Dans un monde disloqué, l’individu doit affronter de grandes contradictions mais bien souvent, les défis du quotidien absorbent son attention et il n’y pense pas. La recherche de la cohérence ne représente pas un objectif essentiel pour la majorité des individus.

Cependant, lorsque les différentes perspectives provoquent de fortes et inattendues contradictions non seulement au niveau intellectuel mais aussi et surtout affectif (incompréhension de ses enfants, conflits dans la famille ou dans le voisinage, par exemple), l’individu passe par un processus de “reflexivity” (réflexivité), selon le terme de Marti 36 . Il est amené à remettre en question ses convictions pour retrouver une forme de stabilité et ainsi redéfinir sa place dans un contexte mouvant. Cependant, il parvient rarement à des convictions absolues et définitives et donc, le processus de “réflexivité” continue. Nous affrontons donc ainsi des situations nouvelles et nous nous ouvrons à des alternatives jusqu’alors impensées.

Les indicateurs religieux latino-américains montrent, entre autres, les effets du phénomène de dislocation. Nous avons développé le sujet dans notre dernier livre, nous souhaitons seulement dans le cadre de cet article donner les données significatives qui permettent de comprendre le contexte général 37 .

La croyance en Dieu se maintient à des niveaux très élevés et les individus s’affirment religieux voire, très religieux (80%). Le clergé et les religieux, en général, continuent à jouir de l’estime et du respect de la population cependant la pratique des sacrements manifestent une baisse rapide et spectaculaire 38 . Depuis une dizaine d’années se manifeste un phénomène qui s’accélère, le tarissement des vocations religieuses et sacerdotales. Si Daniel Levine écrivait aujourd’hui son livre publié en 2012, il ne pourrait plus s’extasier devant le dynamisme de l’Église latino-américaine et serait obligé de pondérer des signes d’essoufflement majeur 39 .

Le monde enchanté coexiste aujourd’hui avec des priorités existentielles de prospérité matérielle et de consommation 40 . L’enchantement n’aboutit pas, comme à l’époque médiévale, à une orientation de la vie humaine par rapport à l’éternité et à ses fins dernières post-mortem mais débouche sur, voire se met au service de, une recherche immanente de biens matériels destinés à usage terrestre. Cette situation explique le succès des néo-pentecôtistes qui fondent leur prédication sur la théologie de la prospérité 41 .

Hypothèse générale: croyance forte sans certitude

Les Latino-américains et les Péruviens en particulier, vivent dans un univers enchanté. L’expression “réalisme magique” pour caractériser la littérature de la région, spécialement l’œuvre de Gabriel Garcia Marquez, correspond bien à la cosmovision.

Á la différence du monde sécularisé qui se divise, pour l’individu, en sphères régies par des logiques différentes, le monde enchanté est soumis à des forces d’origine diverses, naturelles et surnaturelles. Le chirurgien tient le bistouri mais ses mains sont mues par l’inspiration divine. Il est assisté par les infirmières et les anges gardiens 42 . Dans cet environnement, Dieu, ou en tout cas le divin, est une évidence. Les individus conservent dans ce domaine des “croyances fortes”, pour reprendre le terme de Vattimo, qui ne sont probablement pas méthodiquement élaborées mais qui imprègnent le quotidien.

Par ailleurs, les transformations sociétales provoquent des situations contradictoires. Même en considérant qu’il n’y a jamais eu d’époque d’homogénéité absolue, actuellement, du point de vue des institutions religieuses, les incohérences semblent dominer. Cependant, comme nous l’avons souligné, du point de vue de l’individu, la plupart de ces incohérences sont mineures et peuvent coexister sans produire de perturbation.

De nombreux Liméniens se considèrent catholiques sans être baptisés. D’autres s’affirment très religieux, sans pratiquer les sacrements et sans assister à la messe. Du point de vue de l’institution, c’est une grave incohérence mais l’individu ne le vit pas de cette manière. Cependant, les circonstances, et même dans certains cas, les enquêtes sociologiques, amènent les individus à se rendre compte des dissonances et à réagir. Cette prise de conscience peut se traduire par des résultats inconsistants. 30% (et plus) de Latino-américains affirment aller à la messe au moins une fois par semaine mais ces chiffres ne correspondent à aucune réalité puisque la capacité d’accueil ecclésiale correspond à 5% des catholiques et que le système de comptage évalue à 2 ou 3% l’assistance régulière 43 .

Ces données contradictoires se comprennent si nous prenons en compte que le sondage amène la personne à la “réflexivité” et à un réaménagement de l’histoire de sa vie, il ne s’agit pas d’un mensonge mais plutôt d’un accommodement qui permet d’absorber les dissonances. La logique est la suivante: “…si je suis catholique et que je me prétende très ‘religieux’, je dois aller à la messe et effectivement, j’y vais de temps en temps”. Et initialement, lorsque l’individu se considérait très religieux, il pensait à la manière dont il prend en compte le divin dans son quotidien inspiré par la piété populaire (images pieuses, procession, pèlerinage, cierges, dévotions diverses...) 44 .

Dans de nombreux cas, les dissonances acquièrent une telle intensité que l’individu est obligé de remettre en question ses convictions ce qui peut impliquer des changements dans les identifications et les appartenances. Dans l’ambiance disloquée péruvienne où les propositions les plus diverses s’offrent aux individus, depuis la fête traditionnelle au saint patron jusqu’aux jeux vidéos et aux séries télévisées dans un autre monde, les dissonances sont constantes et elles peuvent provoquer, au gré des changements de convictions, des conduites apparemment erratiques.

Ces dissonances ne sont pas d’un ordre logique intellectuel. Elles se produisent lorsque la cosmovision de la personne est profondément perturbée et que se remettent en question ses convictions intimes, généralement celles qu’elle a héritées de sa famille et qui sont intégrées à son quotidien, à ses “habitus” pour reprendre un terme de Pierre Bourdieu.

La technique de prosélytisme des évangéliques, surtout il y a quelques années, consistait à montrer aux catholiques qu’ils agissent en contradiction avec la Bible, la Parole de Dieu et donc en contradiction avec Dieu 45 . Leur point d’attaque favori était celui de l’adoration des images. Ils confrontaient la prohibition des images selon le décalogue à la vénération/ adoration de statues et images censées manifester la présence divine dans la piété populaire 46 .

En effet, la dévotion aux “imagenes” de saints héritée des parents et grands parents joue un rôle essentiel et pénètre tout le quotidien du fidèle depuis le port d’images pieuses protectrices jusqu’aux fêtes qui affermissent les liens familiaux et sociaux, en général. Cette perturbation dans les convictions déstabilisaient les catholiques et les amenaient à accepter une invitation à visiter un temple évangélique et éventuellement à changer d’Église. Le processus, cependant, n’impliquait aucune remise en question de la foi en Dieu.

Le choc des différentes logiques atteint aussi profondément les institutions religieuses. Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, je citerai un exemple qui mérite d’être médité dans les facultés de théologie. Á la demande du recteur du séminaire de Jaen, nous avons présenté un atelier (taller) sur les croyances erronées et/ou nocives. Tous les séminaristes (avec quelques exceptions) proviennent de familles pauvres du monde rural marginalisé. Étant donné les limitations de l’école publique, leur formation intellectuelle laisse beaucoup à désirer et le séminaire prévoit des cours de nivellement avant d’aborder l’enseignement proprement clérical incluant l’apprentissage des langues anciennes, latin, grec, hébreu.

Dans ce contexte de choc culturel, l’atelier sur les croyances provoqua de grandes réactions. Les étudiants faisaient état de problème avec leur famille, voire même de conflit. Ils critiquaient les croyances de leurs parents autrefois partagées et à présent reniées, comme par exemple le fait de préparer un repas pour honorer les défunts ou encore les peurs liées aux êtres surnaturels menaçants. Un des étudiants témoigna des grandes perturbations dans sa foi provoquées par l’enseignement du séminaire: “…pendant trois ans, dit-il, j’avais perdu la foi. Je suis resté ici à cause des amis, je m’étais habitué à l’ambiance. Maintenant, cela va mieux, j’ai la foi mais autrement”.

Malgré les efforts d’adaptation et d’ouverture culturelle, les séminaires fonctionnent principalement suivant un modèle européen 47 . Si ce jeune homme a fait preuve de persévérance et est parvenu à puiser dans l’affectif la force pour supporter la dissonance, combien de séminaristes, face à une telle épreuve, abandonnent leur projet...

Á L’ÉCOUTE DES LIMÉNIENS EN TEMPS D’INCERTITUDE

Nous proposons d’analyser l’enchantement sans certitude des Liméniens à partir de deux caractéristiques qui rendent compte de la spécificité de la situation: Dieu comme évidence et croyances fortes à contenu variable. Nous analysons quelques entretiens recueillis grâce au projet de recherche sur la religion vécue (2015-2017) financé par la Templeton Foundation.

Le projet consistait en 80 interviews à des représentants des principales religions des trois villes étudiées. Á chaque personne, étaient posées des questions similaires sur sa manière de vivre sa religion et sa spiritualité (ou son absence de religion) au quotidien 48 . Ses entretiens étaient ensuite analysés avec l’aide de divers programmes informatiques, en particulier Atlas-ti. Comme la perspective est qualitative, le projet ne prétend à l’exhaustivité mais il cherche à montrer comment des individus de diverses traditions inscrivent (ou n’inscrivent pas) leur foi, leur relation au divin et en général leur spiritualité dans leur récit de vie.

Dieu comme évidence

Parmi les personnes interrogées et qui se reconnaissent comme appartenant à une religion, plusieurs, presque toutes, mentionnent une relation constante avec Dieu (ou d’autres entités, Vierge, saints...). Ils sont nombreux à faire état de rituels personnels qui rythment leur journée. Dieu s’insèrent dans leur quotidien et n’appartient pas à un “monde distinct”, selon l’expression de Kasper.

Plusieurs interviewés font référence à un Dieu avec lequel il parle. Rafael, un catholique de 40 ans, chauffeur de taxi, qui n’assiste à la messe que lorsque sa femme l’y pousse, affirme “parler avec lui (Dieu) comme si je vous parlais”. Il ajoute: “…je prie peu mais je crois beaucoup en Dieu, c’est-à-dire, je crois, je parle” (“conversar con él [Dios], como si de repente estuviera conversando con usted”, et précise “soy muy poco de orar pero creo mucho en Dios, o sea, creo, hablo”).

Tous les interviewés n’expriment pas une foi aussi ancrée dans le quotidien mais tous parlent d’une présence incontestable. Fiorella, une jeune femme catholique d’une trentaine d’année, exprime bien le ton général. Elle a fait partie dans son adolescence de groupes paroissiaux puis a vécu en Allemagne dans une ambiance sécularisée ce qui, elle le reconnaît, a affecté l’intensité et la forme de ses pratiques. Cependant, elle décrit la relation de ses proches et d’elle-même en ces termes qui résument bien ce que pourrait être une relation plus distante. “Je ne te dis pas que nous sommes super catholiques et que nous allons à la messe mais simplement, Il (Dieu) est présent dans nos vies”. (“No es que te diga que somos súper católicos y vamos a la iglesia, simplemente está presente en nuestras vidas”).

Il pourrait nous être rétorqué que dans les entretiens avec des croyants, il est normal que Dieu soit mentionné. La familiarité avec laquelle la plupart d’entre eux parlent de leur relation avec Dieu peut être considérée un trait caractéristique mais elle ne permet pas de démontrer que pour la grande majorité des Péruviens, Dieu est une évidence. Les témoignages recueillis auprès de quelques athées révèlent a contrario l’importance de la foi dans la société péruvienne. Ils sont d’une certaine manière la meilleure preuve de l’évidence socialement partagée de la présence active de Dieu.

Comme le souligne à juste titre Riquier, la croyance forte peut déboucher sur un doute fort. L’athéisme n’est pas un phénomène nouveau mais comme il se définit de manière négative par rapport aux croyants, il s’exprime de manière différente en fonction de l’évolution de son entourage et de la prégnance de la foi dans la société 49 . Dans une société où Dieu est une évidence, l’athéisme s’exprime de manière militante: “…l’athée était, il y a peu encore, un croyant en creux et en négatif, par la fougue même avec laquelle il se jetait dans le combat” 50 .

Dans un tel contexte, l’athéisme prend la forme d’une “contre-conversion” pour reprendre l’expression de Rafael Fernandez 51 . Dans ces circonstances pour éviter l’incompréhension et la réprobation sociale, l’athée tend à sentir ses positions comme exceptionnelles et à vivre ses convictions en solitaire.

Fernandez mentionne le cas surprenant de Jean Meslier, prêtre français jusqu’à sa mort en 1729 et posthumément découvert athée convaincu 52 . Il écrivit en cachette un manifeste bien argumenté contre la foi. Riquier fait référence à un autre athée célèbre, Thomas Henry Huxley, qui vécut aussi son manque de foi en solitaire dans l’Angleterre victorienne. Huxley forgea le terme “agnostique”, précisément pour ne pas avoir à se déclarer athée et à subir l’ostracisme social 53 .

L’écrivain Mario Vargas Llosa, Nobel de littérature, durant sa candidature à la présidence de la République en 1990, se présenta comme “agnostique”. Le Cardinal Vargas Alzamora, pour justifier son soutien à Vargas Llosa expliquait à la population qui en général, ignorait jusques là le sens du terme qu’un agnostique n’est pas un athée (un athée ne peut pas être un Président péruvien) 54 .

Les quatre athées interviewés expriment une position qu’ils considèrent individuelle et qui d’une certaine façon les isolent de leur entourage. Il n’expriment aucun regret, au contraire, ils mentionnent une forme de libération 55 . Tous ont reçu une éducation religieuse. Même si leur parents n’étaient pas très pratiquants, ils affirment être arrivés à l’athéisme à la suite d’une expérience forte qui a reconfiguré leur manière de concevoir le monde et leur relation avec leurs proches. Tous mentionnent les circonstances dans lesquels leur est apparue clairement l’absence de Dieu. Certains en ont fait l’expérience très tôt, 3 à 4 ans, d’autres plus tard. Victor garde un souvenir très vif du moment où à 11 ans, “intérieurement, simplement, il a cessé de croire”. Juan décrit ce moment comme “une chose surnaturelle” et il se reprend, dans l’interview, en affirmant aussitôt que le “surnaturel n’est pas nécessairement lié à la religion”.

La terminologie de Fernandez est particulièrement adéquate, les termes employés correspondent à une forme de “contre-conversion”. Ces récits sont de fait calqués sur les témoignages de conversion. Danielle Hervieu-Léger, à juste titre, note comment les récits de conversion, malgré la sensation de vivre un évènement unique et individuel, suivent un schéma très classique d’opposition entre un avant brouillé et un après ordonné et plein de sens 56 . Autour de la conversion se réorganise la vie et les relations avec l’entourage.

Olivier Roy considère que dans les pays où domine une religion s’impose un processus de formatage, la religion dominante impose ses critères et ses concepts pour évaluer les autres acteurs du champ religieux 57 . Les récits des athées Liméniens montrent que ce processus est à l’œuvre dans leur cas. En effet, ils pensent et s’expriment à partir de catégories similaires à ceux des croyants. Ils vivent à leur façon et sans en avoir conscience un même processus que les convertis. Juan cherchant un terme pour décrire une expérience quasi mystique de l’absence de Dieu, spontanément, parle de “surnaturel”.

Eloísa Martín, reprenant des conclusions de Pablo Semán, affirme qu’il existe une “vision cosmologique populaire” qui présuppose “l’immanence et la super-ordonnance du sacré dans le monde”. Elle précise: “…les forces du sacré ont, par conséquent, une puissance réelle dans ce monde qui est antérieure à toute religion” 58 . Dans cette perspective, le sacré, et d’une certaine façon Dieu, est une modalité de l’immanence. Les forces surnaturelles agissent au même titre que les autres.

Croyance forte à contenu variable

Congar (1965) parle d’un monde médiéval homogène mais les recherches historiques et archéologiques ont montré que l’homogénéité n’a jamais été totale. Les tensions entre les institutions religieuses et les fidèles pour leurs croyances jugées hétérodoxes sont un thème récurrent à toutes les époques.

Selon Jan Assmann dont un de ces derniers ouvrages a un titre très suggestif (Le monothéisme et le langage de la violence, les débuts bibliques de la religion radicale), le monothéisme avec sa prétention à la vérité absolue tend à éduquer et contrôler ses adeptes, quitte à s’imposer dans la violence 59 . Il n’en demeure pas moins que les tensions perdurent et que les croyances se maintiennent parfois de manière cachée malgré les efforts d’évangélisation. Schmitt mentionne un lévrier adoré comme un saint au Moyen Âge 60 . Les exemples pourraient être multipliés. Au Pérou, les cultes syncrétiques, malgré les campagnes d’extirpation des idolâtries, ont été la norme 61 .

Dans un contexte où se multiplient les offres religieuses, non seulement en terme de communautés mais aussi en terme de croyances de tout ordre et origine, les mélanges les plus exotiques se forment et s’ajoutent aux plus traditionnels hérités du syncrétisme colonial. Les institutions peuvent considérer qu’il y a incohérence mais les individus ne les perçoivent pas ainsi.

Les chrétiens croyant en la réincarnation ne sont plus seulement Européens mais aussi Péruviens, c’est le cas de Fiorella. La manière dont Fiorella a, par ailleurs, aidé sa meilleure amie à nettoyer sa maison des “pouvoirs négatifs” est révélatrice des mélanges de croyances utilisées pragmatiquement. L’amie avait fait venir une brujita (guérisseuse) qui a passé un œuf (pasar el huevo”, dans le sens de promener l’œuf dans toute la maison pour qu’il absorbe les “pouvoirs négatifs”) dans la maison. Après le processus, celui-ci s’est révélé noir à l’intérieur. Fiorella pour compléter le rituel a conseillé à son amie, d’asperger la maison d’eau bénie en faisant le signe de croix et “d’aller à l’Eglise pour y prier beaucoup”.

Pancho (60 ans), un catholique fervent, membre d’une confrérie est aussi franc-maçon et considère que la franc-maçonnerie l’aide à développer les vertus et donc à devenir meilleur chrétien. Franciscano est un catholique convaincu et pratiquant du Reiki, pourtant par ailleurs, amplement critiqué par l’Église. Dans l’entretien, lorsqu’il parle santé, son vocabulaire change et s’apparente au Reiki; quand il parle religion, il redevient catholique.

Plusieurs évangéliques ont étudié dans une école catholique car celles-ci sont considérées comme meilleure alternative éducative. Les enfants suivent les cours de religion, assistent à la messe, voire même pratiquent les sacrements d’initiation. Milagros, une mère de famille évangélique convaincue, laisse ses enfants suivre le cursus religieux catholique. Moises, un évangélique de famille évangélique raconte qu’enfant et jeune adolescent, il servait la messe et “se sentait soit disant (supuestamente) catholique”. Il n’avait pourtant pas été baptisé mais ce n’était pas un problème, affirme-t-il car “le collège ne l’exigeait pas”.

Nombreux parmi les interviewés sont ceux qui continuent à se considérer de bons catholiques, évangéliques, mormons, adventistes et n’ont (presque) plus aucun lien avec leurs institutions.

Le cas de Flor illustre bien cette situation. Flor (60 ans) a hérité de sa grand-mère la dévotion à la Vierge de la Porte (Virgen de la Puerta), originaire de Trujillo. Elle possède une image de la Vierge qui ne la quitte pas 62 . Á l’âge de 35 ans environ, à la suite de difficultés familiales, Flor est devenue mormone avec tous les siens cependant l’image de la Vierge de la Porte n’a cessé de l’accompagner sur sa table de nuit. Lorsque son interlocuteur lui demande si cette situation ne lui posait pas problème, Flor répond que les leaders mormons qui leur rendaient visite “ne rentraient pas dans sa chambre” 63 . Á la suite d’une autre crise familiale, Flor, avec toute sa famille, abjure du mormonisme. La Vierge de la Porte continue de l’accompagner, Flor emplit sa maison d’images diverses de la Vierge mais elle ne se considère pas catholique et ne pratique aucun sacrement. Elle affirme aussi avoir toujours gardé une relation quotidienne très proche avec Dieu, elle le consulte, lui parle. Pour elle, cette relation est essentielle et implique qu’elle n’ait pas besoin de pasteur ou de curé. D’un point de vue religieux, elle s’auto-identifie comme “indépendante”.

Ces individus, sans le savoir, sont religieux à leur manière, selon l’expression de Cristian Parker, terme repris par une des interviewés qui après avoir fait partie d’un groupe religieux catholique a pris des distances (Flor) 64 . Ces cas illustrent bien un des débats en cours entre spécialistes: quel est le lien entre culture et religion?

Pour Olivier Roy, reprenant un néologisme de Hervieu-Léger, nous assistons à une “exculturation” de la religion, c’est à dire à une déconnexion entre le marqueur culturel et le marqueur religieux phénomène encore plus marqué dans les régions du globe sécularisées 65 . En revanche, pour Renée de la Torre et Eloísa Martín, ces fragments de systèmes culturels religieux, au sens large du terme, se recomposent et gardent en général un lien avec les traditions dont ils proviennent 66 .

Sans pouvoir développer le sujet dans le cadre de cet article, nous pourrions considérer que la contradiction n’est peut-être qu’apparente. D’une part, De La Torre et Martín, à différence de Roy, analysent principalement l’Amérique Latine, une zone non (ou peu “sécularisée”). D’autre part, en contexte latino-américain, en tout cas, tout dépend de la croyance. Par exemple, la croyance en la réincarnation semble coupée du système culturel d’origine. Dans le cas de Flor, il semble en être de même avec l’adhésion au mormonisme. Cet épisode de conversion ne semble avoir laissé aucune marque profonde dans son style vie. En revanche, la dévotion à La Vierge de la Porte, même si elle n’est plus directement ancrée dans le système rituel de la piété populaire, garde un lien avec la tradition et l’héritage familial.

Des croyances diverses peuvent coexister dans le quotidien des individus. La nouveauté n’est pas dans le phénomène mais dans son ampleur actuelle et surtout dans l’incorporation de croyances d’origines les plus diverses qui n’ont aucun lien avec les traditions culturels du sujet. Il n’en demeure pas moins que dans certains cas, la personne expérimente l’incohérence de ses croyances ou de son style de vie avec ses croyances ou encore les incohérences de son entourage religieux ce qui provoquent des crises et des remises en question.

Le processus de réflexivité, comme le nomme Marti, aboutit à des changements de croyances et/ou d’appartenances. Ces perceptions ne correspondent pas nécessairement à la logique des institutions. Flor et Moises ont conscience de ne pas être en accord avec leurs communautés religieuses mais cela ne provoque pas en eux-mêmes de conflit intérieur.

Á quel moment une incohérence devient une dissonance perturbante et se traduit par un changement religieux? Il n’existe pas de mesure standard, tout dépend des individus. Le processus de réflexivité avec les changements qu’il peut provoquer représente une nouveauté car aujourd’hui les alternatives, avec leurs logiques parallèles, sont multiples. Tous les individus, à un moment ou à un autre en milieu urbain, en particulier, sont confrontés à des possibles jusques là non envisagés.

Pour analyser le “nomadisme” selon le terme de Bastian, nous avons eu recours à la théorie de Henry Gooren sur la conversion 67 . Le sociologue considère que la conversion à la saint Paul, une fois pour toutes dans un éclair de vision et de lucidité, est exceptionnelle, voire utopique. Au contraire, la plupart des convertis passent par un processus, un parcours de conversion, qui implique une progressive assimilation des règles et du style de vie de la communauté jusqu’à parvenir à l’adéquation aux normes et à assumer une attitude proactive, voire prosélyte. Certains après avoir été très impliqués prennent des distances voire rompent avec la communauté religieuse 68 .

Pour prendre en compte plus de variables, en particulier la logique propre au catholicisme populaire ou les phases d’autonomie partielle par rapport à l’institution, nous avons en partie transformé le schéma de Gooren 69 .

La perspective en terme de parcours nous semble particulièrement adéquate pour comprendre la transformation religieuse latino-américaine. Le temps des appartenances stables culturellement héritées est en grande partie révolu, surtout en contexte urbain. Les individus sont soumis à des défis inattendus d’une telle ampleur que la “sagesse” millénaire et inspirée du catholicisme populaire n’aide plus systématiquement à affronter 70 .

Le cas de Moises (38 ans), dentiste, déjà mentionné, montre bien la dynamique à l’œuvre dans les parcours. Moises originaire d’une famille évangélique, devenu soit disant catholique au collège, rentre à l’université pour étudier une carrière scientifique. Une dissonance grave se produit dans sa cosmovision entre les théories de l’évolution enseignées à l’université et ce qu’il pense être les théories de la création catholiques. Moises mentionne spécifiquement “la théorie du big-bang” qu’il considère scientifique. Il s’éloigne alors de toute religion. Il affirme être devenu “pratiquement athée” mais en réalité, à la différence des cas d’athées déjà mentionnés, il s’agit d’un athéisme de conformité au milieu très réduit des étudiants de sciences provoqué par une dissonance 71 . Á la suite d’une grave crise personnelle, il affirme “avoir fait une rencontre avec Dieu” (“tener un encuentro con Dios”) ce qui l’amène à chercher une Église pentecôtiste. Après quelques essais, il se fixe dans l’une d’elles. Il devient un adepte fervent. Au moment de l’entretien, ses convictions religieuses influencent toute sa vie et même ses pratiques de travail. Il prie avant de s’occuper d’un patient, il n’exige pas d’être payé en avance.

Au sein même de l’Église Catholique, peuvent se dérouler des parcours qui correspondent à différents degrés et formes d’engagement. Eduardo, étudiant de 20 ans, originaire d’une famille catholique qui garde des traditions de piété populaire principalement centrées sur la dévotion à saint Antoine de Padoue, mais peu soucieuse des sacrements, devient à l’adolescence membre d’un groupe de jeunes sodalités dont il “suit les règles” de conduite pour éviter de tomber dans le péché (Sodalitium Cristianae Vitae; Sodalités de Vie Chrétienne). Á la suite d’une dissonance liée au maintien de la chasteté en contexte universitaire, Eduardo abandonne le groupe. Il devient selon ses propres termes, un “catholique light” qui garde les traditions peu contraignantes familiales. Il se sent vivre dans la “luxure” (“lujuría”) et en éprouve de la “honte” (“verguenza”).

Ces parcours impliquent non seulement des changements de croyance mais aussi et surtout de style de vie et d’identification. Cependant, l’inchangé reste l’évidence du surnaturel. Certes, Moises a eu une phase brève qu’a posteriori, il interprète comme “pratiquement athée”. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une conviction profonde car il retrouve rapidement, après avoir quitté l’université, ses convictions d’enfant et d’adolescent.

RÉFLEXIONS FINALES

Le commentaire de Kasper s’applique bien à la situation latino-américaine. Effectivement, le divin n’est pas relégué dans une stratosphère éloignée. Il est à l’œuvre dans l’immanence où son “empreinte” est constamment perceptible. Le divin est donc une évidence et l’athéisme correspond à une position exceptionnelle assumée à contre-courant par quelques individus qui de ce point de vue-là se marginalisent.

Si la conviction de la présence du divin représente une “croyance forte” selon l’expression de Vattimo, ce qu’est le divin, la manière de l’aborder s’apparente au contraire aux “croyances faibles”. Elles sont multiples, voire contradictoires et souvent changeantes. Les multiples transformations qui affectent la vie des Liméniens et les influences venues de l’Hémisphère Nord n’ont pas provoqué une croissance de l’athéisme ou de l’indifférence religieuse: Dieu n’est pas mort en Amérique Latine.

En revanche, la conception que les individus ont de Dieu est devenu variable, donc de l’ordre de la croyance faible. Cette situation est une conséquence de la désarticulation entre culture et religion dont l’ampleur et la forme sont objet de débat entre sociologues et anthropologues.

Reste la question percutante de Taylor: quel est le lien entre foi et enchantement? Pour le philosophe, dans un monde enchanté, Dieu est considéré comme une force surnaturelle positive, bienveillante à l’égard de l’être humain ce qui le réduit fondamentalement à n’être qu’une des forces parmi d’autres. Dieu fait en quelque sorte, le contrepoids du diable. Dieu est “l’ultime garant que le bien triomphera dans ce monde des esprits et forces multiples” 72 .

Pour répondre à Taylor, il faut reprendre la question dans la perspective traditionnelle théologique héritée de saint Augustin. Le père de l’Église fait la distinction entre différentes manières de croire: croire Dieu (croire que Dieu existe); croire à Dieu (croire à sa parole); croire en Dieu (engagement caractéristique de l’expérience chrétienne) 73 .

Le croire en Dieu représente l’acte de foi qui correspond à la découverte et à la rencontre avec un tu divin 74 . Comme l’exprime Henri de Lubac, la foi est tout autre chose que la simple croyance. Elle représente “un acte essentiellement personnel qui engage, s’il est bien compris, le fond de l’être. Elle l’oriente tout entier”. La foi a donc à la différence de la croyance un pouvoir transformant.

Nous pouvons ainsi comprendre la nouveauté à laquelle la foi nous conduit. Le croyant est transformé par l’amour, auquel il s’est ouvert dans la foi, et dans son ouverture à cet Amour qui lui est offert, son existence se dilate au-delà de lui-même. 75

Si Dieu est une force organisatrice, une parmi d’autres bien que plus puissante que les autres, il est seulement garant que le Bien finira par triompher. Il reste en quelque sorte limité à l’immanence; ce n’est donc pas le Dieu du christianisme. La croyance en Dieu implique la rencontre avec l’autre, non pas une force active parmi d’autres ou une entité lointaine, perdue dans sa majesté mais l’autre tout proche, présent qui dans sa kenosis, triple kenosis en terme d’Adolphe Geshé, nous accueille. Cette rencontre par laquelle nous dépassons la logique de la lutte des forces, peut nous conduire à un engagement qui signifie une réorientation du sens de notre vie 76 .

Ces quelques réflexions qui demandent à être approfondies devraient permettre de repenser la “purification” de la piété populaire que réclame la hiérarchie 77 . Il ne suffit pas d’éliminer dans les fêtes l’alcool ou la violence, il faut encore, en profitant de l’attention aux choses divines, caractéristique d’un monde enchanté, proposer un Dieu autre qui nous invite à réorienter notre vie.

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Notes

* Article de recherche

1 Kasper, Evangelio y dogma. Fundamentación de la dogmática, 726.

2 Bullivan, Europe’s Young Adults and Religion. Findings from the European Social Survey (2014-2016) to Inform the 2018 Synod of Bishops.

3 Romero, “El Perú, país de diversidad religiosa”, 32; Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 113.

4 Taylor, “Les anti-lumières immanentes”, 159.

5 Ammerman, Sacred Stories, Spiritual Tribes.

6 Recherche dirigée par Gustavo Morello du Boston College, financée par la fondation J. F. Templeton. Ce projet s’est réalisé à Lima, Montevideo et Cordoba. Á Lima, nous faisions partie de l’équipe en charge de la réalisation en tant que chercheur associé, sous la direction de la sociologue Catalina Romero.

7 Kasper, Evangelio y dogma. Fundamentación de la dogmática, 725.

8 Taylor utilisant le terme monde “enchanté” insiste sur la présence et l’efficacité des esprits et autres forces, telles que filtre d’amour ou reliques (Taylor, Encanto y desencantamiento, 49).

9 Congar, “Théologie et sciences humaines”, 130.

10 Berger, The Many Altars of Modernity: Toward a Paradigm for Religion in a Pluralist Age, 20.

11 Kasper, Evangelio y dogma. Fundamentación de la dogmática, 725.

12 Blumenberg, Löwith, Schmitt et Strauss, Modernité et sécularisation.

13 Congar, “Théologie et sciences humaines”, 121-137.

14 Casanova reprend l’ample littérature développée sur le sujet et recentre le “paradigme”, selon l’expression de Tschannen sur trois variables (Tschannen, “The secularization paradigm: a systematization”). Il produit ainsi un modèle avec lequel il analyse diverses réalités.

15 Casanova, Genealogías de la secularización, 23; Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 17.

16 Berger, The Many Altars of Modernity: Toward a Paradigm for Religion in a Pluralist Age; Berger, The Sacred Canopy of the World; Martín, Ser cristiano en una cultura posmoderna, 22.

17 Pew Research Center, ‘“Nones’ on the rise”.

18 Vattimo, Espérer croire.

19 Riquier, “Figure actuelle de l’agnostique. Le croyant tiède”, 64.

20 Vattimo, Après la chrétienté. Pour un christianisme non religieux, 10.

21 Ibid., 19.

22 Berger, The Many Altars of Modernity: Toward a Paradigm for Religion in a Pluralist Age, 29.

23 En ce sens, nous différons de Riquier car la croyance faible peut impliquer une prise de position, voire même sur des questions ecclésiales, alors que l’opinion correspond davantage à une forme d’indifférence.

24 Lee (“La fin de la religion? Réenchantement et déplacement du sacré”, 66-83) considère que désenchantement en Europe n’est pas un phénomène définitif et total et que se crée en parallèle un phénomène nouveau de “réenchantement ” qui tend à se développer à l’extérieur des institutions.

25 Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 15.

26 Comme le note Charles Taylor, Weber fait référence dans ses écrits au “désenchantement” (“entzauberung”, formé à partir de “zauber”, magie) Taylor, Encanto y desencantamiento, 51; Weber, Ética protestante y el espíritu del capitalismo, 185; Weber, Economy and Society 1, 452; 481). Weber pense donc au processus qu’il observe en Europe en terme de “dé-magification” et rationalisation du monde et n’envisage pas la possibilité paradoxale dans sa perspective d’une “modernité enchantée” ou d’une “sécularisation enchantée” (Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy).

27 Marzal, Tierra encantada; Marzal, “Algunas preguntas pendientes sobre la religión en América Latina”, 15. Romero, “Por el encanto de una tierra”, 607-614.

28 Morello; Romero; Rabbia; et Dacosta, “An Enchanted Modernity: Making Sense of Latin America’s Religious Landscape”.

29 Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 17.

30 Romero, “El Perú, país de diversidad religiosa”.

31 Arellano, Ciudad de los Reyes de los Chavez, de los Quispe.

32 Lecaros, La conversion à l’évangélisme. Le cas du Pérou, 48.

33 Berger, The Many Altars of Modernity: Toward a Paradigm for Religion in a Pluralist Age, 53; Berger, The Sacred Canopy of the World; Berger, “The Desecularization of the World: A Global View”, 1-18.

34 Ibid., 5.

35 Webb, “The Evidence of the Senses and the Materiality of Religion”.

36 Martí, “Religious Reflexivity: The Effect of Continual Novelty and Diversity on Individual Religiosity”.

37 Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy.

38 Lecaros, “Los católicos y la Iglesia en el Perú. Un enfoque desde la antropología de la religión”; Lecaros, “Evolución de la práctica de los sacramentos en Lima”, 107-130.

39 Levine, Politics, Religion & Society in Latin America, 69.

40 Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 50.

41 Ibid., 113; Ihrke, Religious Mobility and Social Aspirations of Neopentecostals in Lima, Peru.

42 Romero, “Por el encanto de una tierra”, 607-614.

43 Lecaros, “La pratique dominicale au Pérou. Essai de diagnostic”, 137-159.

44 Marzal, Tierra encantada; Celam, “Vème Conférence Générale de l’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes. Document final” § 258-265.

45 Lecaros, La conversion à l’évangélisme. Le cas du Pérou, 79.

46 Marzal, Tierra encantada, 320. Lecaros, La conversion à l’évangélisme. Le cas du Pérou, 81.

47 Ces difficultés ne sont pas nouvelles. Jeffrey Klaiber les mentionnent pour expliquer le peu de succès des séminaires provinciaux au Pérou (Lecaros, La conversion à l’évangélisme. Le cas du Pérou, 46). Cependant, pendant des décennies, voire des siècles, les vocations provenaient principalement des classes créoles moyennes urbaines et plus récemment des Européens et Nord américains dans le cadre du Fidei donum. Cependant, il existe un phénomène nouveau qui explique les dissonances dans ce domaine. Le monde n’est plus homogène selon l’expression de Congar et ce phénomène affecte aussi la théologie. La véracité du récit biblique est remise en question par l’archéologie, l’histoire et l’anthropologie. La déconstruction parvient à un tel degré que les grands récits fondateurs se transforment en mythes: Adam et Eve depuis les sciences naturelles (Lecaros, “Las distintas caras de la secularización en Perú: la fragilidad del encantamiento religioso en la periferia”, 133-154); le passage de la mer rouge (Finkelstein et Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie); le monothéisme israélien (Römer, L’invention de Dieu), sans oublier les multiples hypothèses non confirmables sur l’existence des frères de Jésus et la réflexion sur le sens des dogmes mariaux. Benoît XVI reconnait écrire son livre sur les évangiles de l’enfance pour harmoniser ces dissonances (Benoît XVI, L’enfance de Jésus).

48 Les trois ville choisies, Cordoba, Montevideo et Lima, ayant des contextes culturels très différents, les proportions données aux représentants des différentes religions varient. Á Lima, nous avions sélectionné 40 catholiques, 20 évangéliques, 10 sans religion et 10 de différentes religions (juifs, musulmans, témoins de Jéhovah, adventistes et mormons). L’échantillon était choisi selon la méthode sociologique de la boule de neige.

49 Veyne, Les grecs ont-ils cru à leurs mythes, 43.

50 Riquier, “Figure actuelle de l’agnostique. Le croyant tiède”, 62.

51 Fernández, “Creer o no creer. He allí el dilema. Notas sobre la fe contemporánea”, 15.

52 Ibid., 24.

53 Riquier, “Figure actuelle de l’agnostique. Le croyant tiède”, 63.

54 Lecaros, L’Église Catholique face aux évangéliques. Le cas du Pérou, 88; Lecaros, “De los multiusos de la religión en política. Apuntes para la reflexión”, 25-33.

55 Romero et Lecaros, “Quienes son los sin religión en Lima”, 111-130.

56 Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti: la religion en mouvement, 131.

57 Roy, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, 242; Lecaros, L’Église Catholique face aux évangéliques. Le cas du Pérou, 99.

58 Martín, “Aportes al concepto de ‘religiosidad popular’: una revisión de la bibliografía argentina”, 74.

59 Assmann, Le monothéisme et le langage de la violence, les débuts bibliques de la religion radicale.

60 Schmitt, Le saint lévrier. Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIème siècle.

61 Marzal, La transformación religiosa peruana; Rostworowski, Pachacamac y el Señor de los Milagros; Molinié, Celebrando el cuerpo de Dios.

62 Lecaros, “Estudios de recorridos religiosos: los desafiliados en contexto”, 71-90.

63 Les spécialistes de religion, en particulier ceux qui étudient le Brésil, dont Pierre Sanchis, considèrent que les appartenances multiples sont fréquentes et ne posent aucun problème de cohérence aux fidèles (Frigerio, “Analyzing Conversion in Latin America: Theoretical Questions, Methodological Dilemmas, and Comparative Data from Argentina and Brazil”, 37). S’agit-il d’appartenances ou de postures adoptés de manière pragmatique par les individus. Andrew Chesnut a bien montré comment le thème de la santé, dans un pays au système défaillant, pouvait provoquer des changements de religion temporaires ou définitifs, dans une quête du miracle qui puisse résoudre les problèmes qu’affronte l’individu (Chestnut, Competitive Spirits).

64 Parker, “Education and Increasing Religious Pluralism in Latin America: The Case of Chile”, 131-184.

65 Roy, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, 206; Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 25.

66 De la Torre et Martín, “Religious Studies in Latin America”, 485.

67 Gooren, “Conversion careers in Latin America: entering and leaving Church among Pentecostals, Catholics and Mormons”. Gooren, “Conversion Careers in Latin America: Entering and Leaving Church among Pentecostals, Catholics and Mormons”, 52-71; Lecaros, “Estudios de recorridos religiosos: los desafiliados en contexto”, 71-90.

68 Lecaros, “Les sans religion en Amérique Latine”, 83-104.

69 Lecaros, “Estudios de recorridos religiosos: los desafiliados en contexto”, 71-90.

70 Scannone, La théologie du peuple. Racines théologiques du pape François, 203; 212.

71 Lors d’une enquête faite auprès des étudiants scientifiques de la Pontificia Universidad Católica del Peru suivant notre cours de théologie, la moitié des inscrits affirma ne pas croire en Dieu. Le motif principal correspond à ce que les étudiants considèrent une erreur trompeuse du christianisme à propos de la création. Nous avons abordé l’impact que cette dissonance sur le thème de la création peut provoquer sur les individus (Lecaros, “Las distintas caras de la secularización en Perú: la fragilidad del encantamiento religioso en la periferia”, 133-154; Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 66.). Il ne s’agit pas d’un athéisme de croyance forte mais dans ce cas-là d’un athéisme de conformité au milieu. De fait, durant le cours, les étudiants ont démontré avoir un grand intérêt personnel pour le sujet. Le cas de Moises illustre bien que cette remise en question n’implique pas un abandon convaincu de la croyance en Dieu.

72 Taylor, “Les anti-lumières immanentes”, 159.

73 Sesbouë, Croire. Invitation à la foi catholique pour les femmes et les hommes du XXIème siècle, 45; Lacoste et Lossky, “Théologie historique et systématique”, 571; Scannone, La théologie du peuple. Racines théologiques du pape François, 231.

74 Lacoste et Lossky, “Théologie historique et systématique”, 578.

75 De Lubac, “Foi, croyance, religion”, 337; François, “Lettre encyclique Lumen fidei sur la foi” §21; Congar, “Théologie et sciences humaines”, 121-137.

76 Geshé, “L’identité de l’homme devant Dieu”, 3-28.

77 Scannone, La théologie du peuple. Racines théologiques du pape François, 212; Celam, “ Vème Conférence Générale de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes. Document” § 262.

Notes aux auteurs

a Auteur de correspondance. Courrier électronique: vgauthier@pucp.pe

Information additionnelle

Comment citer: Lecaros, Véronique. “L’existence de Dieu, une évidence en Amérique Latine”. Theologica Xaveriana 189 (2019): 1-30. https://doi.org/10.144/javeriana.tx70.ldeal

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