Le cléricalisme, version latino-américaine: ses spécificités et ses dangers. Les cas du Pérou et de l’Argentine*

Clericalismo, versión latinoamericana: sus especificidades y peligros. Los casos de Perú y Argentina

Véronique Lecaros , Ana Lourdes Suárez

Le cléricalisme, version latino-américaine: ses spécificités et ses dangers. Les cas du Pérou et de l’Argentine*

Theologica Xaveriana, vol. 73, 2023

Pontificia Universidad Javeriana

Véronique Lecaros a

Pontificia Universidad Católica del Perú, PUCP, Perú


Ana Lourdes Suárez

Universidad Católica Argentina, Argentina


Reçu: 11 novembre 2021

Accepté: 22 may 2022

Résumé: Les recherches développées dans l’hémisphère Nord sur les abus de pouvoir, de conscience et sexuels dans l’Église concluent que le cléricalisme, en tant que perversion de l’exercice de l’autorité, est le principal responsable de la crise actuelle, conclusion reprise et fréquemment commentée par le pape François. Pour les auteurs, le phénomène ne correspond pas à des faiblesses individuelles mais à une organisation institutionnelle le favorisant. Certaines composantes du cléricalisme sont universelles, conséquences des structures uniformes de l’Église, en revanche, d’autres caractéristiques correspondent à l’organisation sociale et culturelle locale.

Á partir d›une étude en Argentine et au Pérou, résultat d›un projet de recherche financé par le Intercambio Cultural Alemán-Latinoamericano, Icala, et d’antérieurs projets, cet article se propose de combler un manque en analysant le cléricalisme et son impact dans la crise des abus, en contexte latino-américain. Les composantes universelles du phénomène se renforcent et acquièrent de nouvelles caractéristiques en Amérique Latine. Les multiples facettes du cléricalisme se rejoignent toutes autour d’un noyau commun, l’exercice sans contrepoids du pouvoir. Plusieurs facteurs, tels que le prestige de l’Église, la faiblesse des institutions gouvernementales, l’usage discrétionnaire de ressources, le machisme, les tendances culturelles à l’autoritarisme et l’européisation des formations en séminaires, transforment les prêtres en êtres d’exception et exacerbent leur pouvoir de type monarchique sur des laïcs passifs sans capacité, ni volonté de fiscalisation (Schickendantz). Par ailleurs, l’aura de sacré que tend à conférer le sacrement de l’ordre, en général, acquiert de nouvelles dimensions en contexte de modernité enchantée latino-américaine. Par leurs bénédictions, les prêtres sacralisent et purifient tous les objets du quotidien, les transformant en source de bien-être. Les changements actuels dans les pratiques de dévotions populaires renforcent ces tendances, faisant des prêtres des fournisseurs de bénédictions à volonté.

Pour rompre les multiples renforcements qui justifient ce style de gouvernance, il faudrait développer dans l’Église une culture de la vulnérabilité (Keenan): envisager le prêtre non seulement comme un clerc au service des laïcs mais aussi comme un homme qui a besoin des laïcs pour être vraiment prêtre.

Mots clés:cléricalisme, Église Catholique, Argentine, Pérou, abus dans l’Église, dévotion populaire.

Resumen: La investigación desarrollada en el hemisferio Norte sobre el abuso de poder, conciencia y sexualidad en la Iglesia concluye que el clericalismo, como una perversión del ejercicio de la autoridad, es el principal responsable de la crisis actual, conclusión repetida y frecuentemente comentada por el papa Francisco. Para las autoras, el fenómeno no corresponde a debilidades individuales sino a una organización institucional que lo favorece. Ciertos componentes del clericalismo son universales, consecuencia de las estructuras uniformes de la Iglesia, por otro lado, otras características corresponden a la organización social y cultural local.

Basado en un estudio en Argentina y Perú, resultado de un proyecto de investigación financiado por el Intercambio Cultural Alemán-Latinoamericano, Icala, y proyectos anteriores, este artículo propone llenar un vacío analizando el clericalismo y su impacto en la crisis del abuso, desde el contexto latinoamericano. Los componentes universales del fenómeno se están fortaleciendo y adquiriendo nuevas características en América Latina. Las múltiples facetas del clericalismo se unen en torno a un núcleo común, el ejercicio desequilibrado del poder. Varios factores, como el prestigio de la Iglesia, la debilidad de las instituciones gubernamentales, el uso discrecional de los recursos, el machismo, las tendencias culturales hacia el autoritarismo y la europeización de las formaciones seminaristas, transforman a los sacerdotes en seres de excepción y exacerban su poder de tipo monárquico sobre laicos pasivos, sin capacidad ni voluntad para fiscalizar (Schickendantz). Además, el aura de sagrado que tiende a conferir el sacramento del orden, en general, adquiere nuevas dimensiones en el contexto de la modernidad encantada latinoamericana (Morello et al.). Con sus bendiciones, los sacerdotes santifican y purifican todos los objetos cotidianos, transformándolos en una fuente de bienestar. Los cambios actuales en las prácticas devocionales populares refuerzan estas tendencias, convirtiendo a los sacerdotes en proveedores de bendiciones a voluntad.

Para romper los múltiples refuerzos que justifican este estilo de gobierno, sería necesario desarrollar en la Iglesia una cultura de la vulnerabilidad (Keenan): considerar al sacerdote no solo como un clérigo al servicio de los laicos, sino también como un hombre que necesita a los laicos para ser verdaderamente un sacerdote.

Palabras clave: Clericalismo, Iglesia Católica, Argentina, Perú, abusos en la Iglesia, devoción popular.

Introduction

Les premières réactions ecclésiales confrontées aux scandales des abus sexuels ont consisté à essayer d’identifier et d’éliminer les soi-disant mauvais éléments, espérant restaurer et purifier l’Église dans son ensemble. La prolongation de la crise a mis à découvert l’ampleur du phénomène. De nombreuses études, provenant d’experts de diverses disciplines, théologiens, sociologues, psychologues et juristes, ont approfondi notre compréhension du phénomène en le replaçant dans son contexte. Elles soulignent, toutes, le caractère systémique des abus et le rôle essentiel joué par le cléricalisme1.

Le rapport australien, citant les paroles du théologien Thomas Doyle, conclut qu’il s’agit du facteur le plus important pour expliquer à la fois les abus et la désastreuse gestion de ceux-ci, au moins jusques dans les années 20102. Ce même rapport définit ainsi le phénomène:

…le cléricalisme découle à la fois de dynamiques personnelles et sociales, s’exprime dans diverses formes, et est souvent renforcé par des structures institutionnelles. Parmi ses principales manifestations sont un style autoritaire de leadership ministériel, une vision du monde rigoureusement hiérarchique et une identification virtuelle de la sainteté et de la grâce de l’Église avec l’état clérical et, ainsi, avec le clerc lui-même.3

Le cléricalisme, comme beaucoup de notions terminant en “isme”, dénote une perversion de ce qui devrait être une autorité clairement délimitée. Les analyses du phénomène insistent sur sa dimension systémique, conséquence d’une organisation institutionnelle le favorisant, sur l’abus d’autorité qui le caractérise et sur l’expansion de la sacralisation jusqu’à imprégner et englober l’homme-prêtre.

Le pape François fait de fréquentes références aux méfaits du cléricalisme, en particulier pour fustiger le carriérisme de certains prêtres, davantage préoccupés de se servir de leur position comme d’un tremplin social au lieu de se mettre au service de leurs ouailles, leurs brebis, suivant l’image chère à Saint Jean et au pape4. En réponse au croissant malaise social, le pape affirme que le cléricalisme représente “une manière anormale de comprendre l’autorité dans l’Église” que “partagent beaucoup de communautés où se sont produits les abus sexuels, de pouvoir et de conscience”. Il ajoute: “…le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui”5.

Si les traits principaux du cléricalisme marquent l’ensemble de l’institution et se retrouvent d’un pays à l’autre, il n’en demeure pas moins, comme le soulignent les auteurs que “le cléricalisme se manifeste sous diverses formes”, selon l’expression du rapport australien. Une des tâches essentielles restant à développer, selon le diagnostic des experts de la Task Force, pour élaborer des mesures de prévention mieux ajustées, correspond à la nécessité de “définir le cléricalisme, ses racines et ses causes et les diverses formes qu’il prend”6. Notre article se propose de répondre à l’invitation de la Task Force en analysant quelques caractéristiques que revêt le cléricalisme dans deux pays d’Amérique Latine, l’Argentine et le Pérou7.

De fait, hormis le document d’analyse sur la crise de l’Église chilienne produit par la Pontificia Universidad Catolica del Chile (PUCC) en 2020, aucune étude systématique sur les disfonctionnements ecclésiaux ayant pu favoriser des abus, n’a été développée en Amérique du Sud8. Le document chilien mentionne le cléricalisme comme facteur essentiel en la crise, il s’intéresse cependant peu à la spécificité chilienne du phénomène. Nous nous proposons donc d’initier la réflexion sur le sujet à partir des églises de l’Argentine et du Pérou, pays dans lesquels nous menons des recherches sur le champ religieux depuis plusieurs années, en particulier depuis un an sur le thème des abus. Notre objectif est donc de comprendre le cléricalisme, dans la perspective de la crise des abus sexuels, comme élément les favorisant.

Jusques à présent, presque toutes les recherches sur le sujet ont eu lieu dans des pays occidentaux riches et sécularisés, certes, les situations diffèrent en termes d’ampleur mais les similitudes dominent9. Tenant compte de l’uniformité de la formation clérical et des tâches assignées aux prêtres, nous sommes amenées à nous demander dans quelle mesure les contextes social et culturel peuvent influencer, voire transformer, des tendances universelles. En d’autres termes, y aurait-il plus du même ou bien faudrait-il penser le cléricalisme à partir d’autres paramètres?

Notre hypothèse est que selon l’angle d’approche, nous assistons à des phénomènes de renforcement ou au contraire de changement. Certaines caractéristiques culturelles, comme le machisme, ou sociales, comme la crédibilité de l’institution dans un cadre de déliquescence des structures gouvernementales, renforcent le prestige des clercs, contribuant ainsi à augmenter leur quota de pouvoir. En revanche, la modernité enchantée comme l’ont surnommée de nombreux auteurs10, représente un changement qualitatif qui contribue à assoir et justifier la puissance sacrée du prêtre. L’autorité du prêtre est confortée et exaltée à un tel degré qu’en dépit de l’impact médiatique de la crise des abus et hormis le cas Sodalitium11, relativement bien contrôlé, au Pérou, très peu de victimes se sont présentées aux commissions d’attention (une seule entre 2019 et 2020 et une dizaine à partir de fin 2020); par ailleurs, aucun prêtre n’a encore été poursuivi pénalement. En Argentine, le sujet a fait surface, seulement depuis 2018. Il y a 38 prêtres accusés d’abus selon les médias, actuellement seule source d’information sur le sujet. Plusieurs font face à des poursuites judiciaires; quelques-uns ont déjà reçu une condamnation de la justice civile. Aucune étude systématique sur le sujet n’a encore été entreprise.

Même si nous considérons que les différentes caractéristiques du cléricalisme se renforcent réciproquement, pour les besoins de l’exposé, nous abordons dans un premier temps les circonstances sociales et culturelles qui contribuent à renforcer le prestige des clercs sur les laïcs et dans un deuxième temps, nous nous intéressons à l’aura de sacré qui les entourent, les séparant du reste des mortels et contribuant à les rendre pratiquement intouchables. Les différentes caractéristiques que nous mettons en évidence, contribuent toutes à faire du prêtre un homme exceptionnel, dominant le reste des mortels et doué de pouvoirs puissants. Par ailleurs, l’Amérique Latine en général, l’Argentine et le Pérou en particulier, s’est rapidement transformée ce qui nous conduit aussi à prendre en compte le cléricalisme comme un phénomène dynamique, affecté par les mutations du contexte environnant.

Le prêtre: un monarque absolu

L’Église jouit en Argentine et au Pérou d’un très grand prestige. Les scandales de pédophilie qui ont littéralement décimé le nombre d’individus qui s’identifient comme catholiques au Chili, ont eu jusqu’à présent un impact minime au Pérou, malgré les récentes révélations sur la société de vie apostolique, Sodalitium (Sodalité de Vie Chrétienne)12. Le groupe recrute ses membres parmi les classes moyenne et haute et maintient une position discrète, ce qui expliquerait que le scandale ait eu un impact limité sur la popularité de l’institution. Par ailleurs, le fondateur et ses proches ne sont pas des prêtres ce qui gomme encore l’association avec l’institution ecclésiale.

En Argentine, les récentes révélations faites par la presse commence à avoir un impact, mais rien de comparable avec la crise chilienne. Par ailleurs, le prestige et la confiance accordés aux prêtres, deux composantes du cléricalisme, présentent des caractéristiques régionales qui protègent l’institution du scandale. L’Amérique du Sud n’est pas un continent uniforme. Tous les pays de la région ne suivront peut-être pas le cheminement du Chili.

Prêtre héros

L’Église reste, de loin, l’institution la plus valorisée du Pérou avec plus de 50 % d’approbation, alors que les instances gouvernementales ou politiques, le parlement et les partis, en particulier, peinent à dépasser le double digit13. En Argentine, le niveau de confiance dans l’Église catholique est similaire à celui du Pérou. Elle fait partie des institutions qui génèrent le plus de confiance. Près de six Argentins sur dix déclarent lui faire confiance14.

La popularité de l’institution ecclésiale est certes relative. Avec des nuances entre les deux pays, les institutions gouvernementales sont discréditées et considérées comme bureaucratiques, inefficaces et corrompues. Plusieurs personnalités influentes de la classe politique sont poursuivies pénalement. Selon le classement annuel préparé par Transparency International pour mesurer le niveau perçu de corruption, en 2021, l’Argentine se classe 78ème et le Pérou 94ème.

Outre l’effet revalorisant, par contraste avec les autres institutions, le prestige de l’Église provient de ses nombreuses œuvres très appréciées du public, en particulier les écoles en partenariat avec l’État qui proportionnent une éducation de qualité gratuite15. Il faut aussi mentionner la multitude de micro projets développés par des prêtres ou des religieux, en lien avec des institutions ou organisations non gouvernementales de pays riches, pour répondre rapidement aux nécessités. Á l’initiative de plusieurs diocèses et paroisses, pour pallier la crise du Covid, plusieurs fabriques d’oxygène ont été mis en fonctionnement par l’Église. En avril 2020, le vicariat de l’Amazonie a été le premier à réagir, bien avant les défaillantes structures gouvernementales.

En Argentine, la présence de personnes consacrées célibataires dans les quartiers précaires, depuis des décennies, joue un grand rôle dans la distribution des diverses aides du gouvernement ou de la société civile, destinées aux plus démunis. Les “curés villeros” jouissent d’un immense prestige pour leur dévouement au travail social et leur accompagnement des plus pauvres16. Ce sont des personnalités connues du grand public et leur travail est souvent présenté dans les médias.

Dans le contexte péruvien, il faut aussi tenir compte du rôle formateur joué par les communautés ecclésiales de base, inspirées de la théologie de la libération. Si, aujourd’hui, peu de prêtres proposent aux fidèles de participer dans ces communautés, les paroisses continuent à offrir des cours de formation très prisés, certains destinés à la professionnalisation, d’autres au contraire à l’éducation religieuse; les cours de bible, en particulier, jouissent d’un franc succès.

Le foisonnement de ces microprojets (parfois mezzo) est tel que la Conférence Épiscopale Péruvienne a renoncé à essayer de les quantifier17. Á ceux-ci, s’ajoutent les donations en nature ou en argent faites directement aux prêtres et religieux. Elles ne sont, bien sûr, pas non plus quantifiables puisqu’elles circulent sans apparaître dans aucun registre. Cette gestion spontanée des biens s’enracine dans des siècles de méfiance envers l’usure et la théologie de la providence auxquels font référence les grands récits fondateurs bibliques destinés à être lus en parallèle, tel que le don de la manne au désert qui permit aux hébreux de survivre, la prolifération des aliments par les grands prophètes, Élie et Élisée en temps de famine et surtout la multiplication des pains par Jésus dans des lieux désertiques. Là où les aides sociales ne parviennent pas, le prêtre ou le/a religieux/se intervient, redistribuant aliments et médicaments et répétant les gestes de Jésus, apparaissant ainsi comme un alter Christus.

Par ailleurs, l’Église, comme elle l’a toujours fait en Amérique Latine, continue à fonctionner comme l’ultime recours dans des situations de détresse ou de conflit. Même de manière lacunaire, par des visites très sporadiques et par l’intermédiaire de catéchistes, l’Église maintient une présence là où l’État est absent ou s’il y parvient, c’est bien souvent dans l’inefficacité et les exactions18. Dans les zones éloignées riches en minerais et dans l’Amazonie, les religieux sont souvent les seuls à défendre les intérêts de la population. Dans les conflits sociaux, lorsque les négociations ne progressent pas, bien souvent, par manque de confiance dans les institutions gouvernementales, les religieux sont invités à jouer le rôle de médiateur. Dans des situations d’injustice, souvent liées à la corruption, les individus s’adressent aux religieux pour obtenir gain de cause.

La figure du religieux héroïque (prêtre, frère ou sœur) s’interposant pour protéger les populations ou accompagnant les démunis aux périls de sa propre vie est bien ancrée dans l’imaginaire et correspond à une réalité. Durant les manifestations contre un projet minier (Conga) à Cajamarca, le père Isaac, franciscain, a ouvert les grilles du parvis pour protéger les manifestants. Des religieuses se sont placées au premier rang pour empêcher les policiers de tirer. Ailleurs, en Amazonie, ce sont des religieuses ou des prêtres qui soutiennent les populations reculées, affectées par l’exploitation inadéquate de leurs ressources19.

En Argentine et au Pérou, des prêtres ont subi le martyr dans les conflits internes récents. Trois prêtres du diocèse de Chimbote (Nord du Pérou) béatifiés, en 2016, furent assassinés par les terroristes du Sentier Lumineux car ils refusaient d’abandonner les populations dépourvues. En Argentine, pendant la dictature militaire, des prêtres ont été assassinés pour leur engagement envers les plus pauvres, parmi eux, l’évêque de La Rioja, Monseigneur Angelelli et le père Carlos Mugica qui travaillait dans une “villa” de Buenos Aires20.

Prêtre cacique

Les œuvres de l’Église nous conduisent à aborder la gestion particulière des biens monétaires dans l’institution et la manière dont leur destination peut être détournée.

Dans les analyses sur le cléricalisme et les abus, le chapitre financier est en général mentionné de manière marginale; il est seulement un peu plus développé dans le cas de personnages particulièrement influents qui ont fait grand usage des moyens financiers à leur disposition pour gagner des complicités, tels que Macial Maciel (fondateur des Légionnaires du Christ) ou le cardinal McCarrick. Les rapports soulignent que grâce à leur grand charisme, Maciel et McCarrick étaient d’extraordinaires leveurs de fonds. Cependant, le chapitre financier est une composante du cléricalisme qui contribue à fomenter les abus. Il ne peut se réduire à ces personnages hors du commun ou à ces sommes discrètement versées, par les diocèses, aux victimes en échange de leur silence. L’opacité dans la gestion affecte l’ensemble de l’institution et correspond à un mode de fonctionnement.

Les prêtres disposent de moyens financiers qu’ils gèrent sans surveillance21. Le droit canon ne l’exige pas et rares sont les paroisses qui présentent leurs états financiers, comme il est fréquent de le faire aux États Unis. Au Pérou, le vicariat de Chulucana le fait de manière systématique mais c’est une exception. Certes, les recettes de la quête, surtout en milieux défavorisés peuvent être très succinctes. Un prêtre de Leticia, un village pauvre, collecte environ 100 soles par dimanche, l’équivalent à 30 dollars.

Cependant, les dons, surtout pour les prêtres connus pour leur dynamisme et leur implication dans des projets, peuvent être conséquents. La source la plus sûre de revenus pour la plupart des prêtres reste, sans nul doute, les intentions de messes non déclarées et les offrandes liées aux sacramentaux, en particulier les bénédictions aux voitures, maisons, entreprises etc. Bien que les rémunérations ne soient pas exigibles, elles sont considérées comme “contribuant aux biens de l’Église”, selon le droit canon (CIC, 1983 §945, 2 ; 946) ; dans la pratique, une pression indirecte s’exerce bien souvent. Des sommes parfois importantes passent ainsi, sans contrôle, par les mains des prêtres. Par ailleurs, les prêtres ont aussi une grande liberté de mouvement et la plupart ont à leur disposition une voiture ou en milieu rural pauvre, une moto.

Relative autonomie des prêtres, confiance de leurs paroissiens et certaine disponibilité financière, ces trois facteurs contribuent à transformer le prêtre, surtout en milieu marginal, en un cacique. Ces ingrédients fournissent aussi les conditions sine qua non d’une double vie. Les prêtres, pères de famille, disposent ainsi des moyens de financer l’éducation de leurs enfants.

Les documents d’analyse ou écrits sur les abus dans l’Église soulignent l’importance de la fiscalisation des activités des prêtres et de l’encadrement dans des protocoles bien établis afin d’empêcher les conduites inappropriées22. Sans nul doute, des normes simples peuvent être établies pour éviter toute ambigüité dans les enceintes paroissiales mais ce n’est pas dans ce cadre qu’il y a le plus de danger. Par ailleurs, l’efficacité des prêtres pour répondre à des situations de détresse provient de leur grande autonomie. Si une plus grande transparence est nécessaire, il n’en demeure pas moins que des protocoles adaptés doivent être développés qui permettent plus de transparence sans brider les capacités d’action de prêtres.

Prêtre macho... mais différent

La prêtrise, telle qu’elle s’est établie dans les premiers siècles de notre ère, est dévolue à des hommes célibataires23. Comme l’a souligné récemment le magistère en réponse aux demandes de certains collectifs questionnant cette situation, la masculinité est considérée comme une caractéristique essentielle du prêtre agissant en tant que persona Christi et par conséquent du Christ. Comme le souligne Daniel Bogner, cette exclusivité masculine “comporte aussi –explicitement et implicitement– une dépréciation constitutive de l’autre sexe, laquelle transparaît de multiple manière dans la doctrine et la pratique de l’Église”24.

De plus, en Amérique Latine, la masculinité célibataire et ascétique qu’est censée assumer le prêtre, entre en conflit avec les normes culturelles dominantes. Norma Fuller, dans ses études anthropologiques sur le machisme, distingue la version perverse de la masculinité qui valorise la force physique, la sexualité débridée et la transgression souvent téméraire (conduite jugée normale pour les hommes jeunes et célibataires) de la version vertueuse qui au contraire, propose un idéal de masculinité patriarcal, celle du père de famille responsable, dirigeant bienveillant de son clan25.

Dans les deux cas, les hommes sont censés avoir autorité sur les femmes et par conséquent, les hommes efféminés et les homosexuels sont méprisés et vilipendés. Dans les individus concrets, les deux versions du machisme ne sont jamais clairement délimitées. Les évangéliques ont tendance à adopter une attitude très puritaine, bien que cela implique un grand nombre de lapsi. En milieu catholique traditionnel, une dose de transgression, en particulier en ce qui a trait à la continence sexuelle et à la modération en termes de consommation alcoolique, est socialement acceptée. Un homme est censé avoir des besoins sexuels qui justifient des écarts, ce qui n’est pas le cas des femmes.

La masculinité idéale du prêtre, telle que l’envisage l’Église, homme célibataire chaste, modéré dans sa consommation et ses goûts, ne correspond pas aux normes sociales en vigueur. Les conséquences peuvent être néfastes. D’une part, les ouailles acceptent sans trop de difficulté un prêtre qui discrètement aurait une double vie, entretenant des relations sexuelles avec des femmes. D’autre part, suivant la thèse du journaliste Martel, des hommes d’orientation homosexuelle qui dans un tel contexte d’homophobie, ne parviennent pas à l’assumer, peuvent se tourner vers la prêtrise, entre autres, pour éviter le mariage, en espérant parvenir à dominer des pulsions jugées inacceptables26.

Par ailleurs, dans des communautés où la majorité des ouailles, des catéchistes et des volontaires, en général, sont des femmes formées à servir et à respecter l’autorité masculine, le machisme contribue à renforcer le pouvoir du prêtre entouré de volontaires qui se sentent valorisées (voire sanctifiées) en vaquant à des tâches domestiques dans le temple et le presbytère ou en apportant le déjeuner au curé. Le prêtre se retrouve, donc, en situation d’autorité dans son entourage, autorité qui comme le souligne Pierre Bourdieu27, s’enracine dans la coutume et semble donc naturelle. Dans ce contexte de bonne volonté qui peut parfois friser la servilité, les limites se transgressent facilement. Avec l’accès massif des jeunes filles à l’université, la situation commence à évoluer. Les jeunes filles sont catéchistes, formatrices, membres de la chorale, leaders juvéniles et rares sont celles qui se consacrent aux travaux domestiques comme leur aînées mais le changement n’est pas encore accompli. Une des manières de lutter contre cette variante du machisme, en milieu ecclésial, serait de promouvoir la présence de femmes comme étudiantes, comme professeures dans les séminaires ou faculté de théologie ou comme conférencières dans les paroisses ou les évêchés.

Aux États Unis, la présence de femmes aux côtés des séminaristes a été jugée très bénéfique28. Au Pérou, les ambiances mixtes sont rares, à l’exception du ISET ou de la CONFER, organismes de formation et instruction gérés par des religieux de tendance plus progressistes. Par ailleurs, les femmes n’y ont toujours pas accès à des diplômes universitaires en théologie29. En province, des directeurs de séminaire et les programmateurs de la formation dans les évêchés osent parfois inviter des femmes théologiennes pour qu’elles s’adressent aux (futurs) prêtres, geste considéré, encore aujourd’hui, comme révolutionnaire, dans le contexte.

Prêtre savant mais d’une autre culture

En milieu rural, provincial ou urbain marginal, le prêtre représente encore le savant qui peut apporter des solutions aux problèmes les plus divers. Même si les circonstances ont changé, la situation perdure dans une partie du pays30. Les prêtres et les religieux sont consultés pour des problèmes de tout ordre, depuis l’agriculture jusqu’à la santé, en passant par l’éducation des enfants. Les études confèrent donc au prêtre Nolens Volens une position d’autorité.

Par ailleurs, la formation des prêtres implique un changement culturel ce qui favorise l’établissement d’un statut à part. Ils sont séparés de leur famille pendant plusieurs années. Le format du cursus principal des séminaires révèle la tendance encore très européenne de l’Église catholique. Comme le souligne l’historien Jeffrey Klaiber, jusqu’à récemment, les séminaires de province ont attiré peu de vocations et n’ont pas su retenir celles qui se présentaient31. Les jeunes gens sont amenés à rejeter certaines coutumes et croyances propres au catholicisme populaire pour se tourner vers un type de foi plus intellectuel, centré sur les Écritures abordées en général dans une perspective thomiste, comme le demande le Droit Canon (CC §252, 3).

Lecaros fait référence à des jeunes qui perdent la foi et se sentent étranger auprès des leurs dont ils critiquent des coutumes qu’ils ont appris à juger inadéquates32. Si les professeurs de séminaires justifient le processus comme signifiant une purification et une maturation, il n’en demeure pas moins que les séminaristes sont invités à développer une foi qui n’est pas en consonance avec celle de leurs ouailles. Si effectivement, une réflexion et un effort de cohérence se produisent, l’adoption de nouveaux goûts, d’une nouvelle sensibilité sont davantage de l’ordre culturel que spirituel. De nouvelles habitudes doivent se prendre, ne plus chercher Dieu dans les fêtes communautaires, la musique et l’extériorisation des émotions mais dans une relation plus intimiste et silencieuse.

Bien qu’à partir de la Conférence Générale des évêques latino-américains de Medellin, en 1968, la hiérarchie ait commencé à revaloriser le catholicisme populaire, dans les séminaires, l’articulation entre les croyances de la piété populaire, la théologie (néo)thomiste et la lecture critique de la Bible peine à se faire dans l’esprit et le cœur des séminaristes. Si tous les séminaires transforment des hommes en prêtres, l’écart entre homme et prêtre se creuse davantage dans certains contextes latino-américains33.

Il ne s’agit pas seulement de purifier l’image de Dieu mais aussi d’éliminer une grande partie des souvenirs et sensations liés aux célébrations du catholicisme populaire, en bref de tout ce qui a contribué à faire grandir la foi et à lui donner corps. Si Marcel Proust avait dû éradiquer le souvenir de la petite madeleine, aurait-il pu retrouver le temps perdu, le sens de sa vie ? Si le prêtre devient un étranger pour les siens, il est à craindre qu’il ne devienne aussi pour lui-même un étranger.

Encore une fois, de ce point de vue, certains contextes latino-américains renforcent une tendance universelle qui fait du prêtre un être à part et cultivé. Au Pérou, il est un savant devenu étranger aux siens, voire même à lui-même.

Le prêtre, de leader sans conteste à monarque absolu

Selon les analyses de Roland Minnerath, bien qu’elle ne s’y soit jamais explicitement opposée, la hiérarchie catholique a mis longtemps (il faut attendre la deuxième moitié du XXème siècle) à considérer la démocratie comme une valeur et à défendre son bien-fondé politique34. Cependant, même si l’Église soutient les régimes démocratiques, elle se revendique comme institution régie par d’autres principes.

Le Concile Vatican II, en pensant l’Église non plus comme société parfaite hiérarchique mais comme peuple de Dieu, a favorisé la promotion d’une dynamique collégiale35. Régulièrement, le pape réunit un groupe d’évêques représentatifs pour discuter un des défis de l’Église et du monde actuel. Cependant, le pape François qui pourtant, a fait systématiquement la promotion des synodes et a insisté sur la nécessité d’un ample processus de consultation auprès des fidèles, rectifie régulièrement de possible fausses impressions: un synode n’est pas un parlement, l’Église n’est pas une démocratie.

Dans le débat entre le cardinal Joseph Ratzinger et le philosophe Jürgen Habermas, se fait jour la différence principale qui réside dans la manière d’atteindre un consensus36. Pour Habermas, le consensus doit se former dans le dialogue et la conciliation entre les différents groupes sociaux. Pour Ratzinger, cette perspective se base implicitement sur un relativisme généralisé et peut ainsi conduire à des décisions approuvées par tous mais erronées. L’approbation d’une majorité ne garantit pas le bien fondé. En revanche, la (recherche de la) vérité est appelée à servir de guide et à trancher. Sans vouloir développer les conséquences politiques sur lesquels pourrait déboucher ce débat, il convient de remarquer comment la position de Ratzinger exprime la logique de gouvernance au sein de l’Église. L’institution se fonde sur la volonté divine. Les décisions de ses leaders sont censées s’enraciner dans les Écritures et la tradition mais aussi dans l’inspiration. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la manière dont se raconte la convocation du Concile Vatican II comme une inspiration soudaine de Jean XXIII, alors que selon les historiens vaticanistes, Pie XII, déjà, songeait à reprendre et achever le Concile Vatican I. Dans cette gestion du pouvoir, les autorités ecclésiales, si elles le désirent, peuvent consulter mais la décision ultime leur correspond. Le mode opératif est conçu comme un processus de discernement et non pas comme un dialogue et une élection, ce qui serait le cas dans une démocratie.

Comme l’exprime Schickendantz, analysant les conclusions de la commission royale, la gouvernance de l’Église s’assimile à un monarchisme absolu37 ou plus exactement à un emboîtement de monarchies absolues, depuis les paroisses jusqu’au Saint Siège en passant par les diocèses. Au niveau paroissial, le droit canon (1983, §536) envisage “l’opportunité” de la création d’un conseil pastoral formé de laïcs, àla demande de l’évêque mais il ne lui accorde qu’une fonction de “consultation”. Enmatière économique, un conseil (§537) est exigé mais encore une fois, le curé gardeles rênes en main.

La Commission australienne affirme que cette organisation ne permet pas la transparence et la reddition de compte. Il n’y a pas de séparation de pouvoir, pas de contrôle indépendant, bref pas de responsabilisation. L’absence de délimitation de compétence conduit à confondre tous les domaines. Légalement, le prêtre reste donc l’autorité suprême. Les amendements récents du droit canon tendent à orienter et à limiter le pouvoir excessif des évêques mais le mode de fonctionnement n’est pas altéré.

Cette organisation institutionnelle a produit de graves abus dans des pays à tradition démocratique comme l’Australie et bien d’autres. En Amérique Latine où la tradition autoritaire non seulement fait partie du bagage culturel mais est aussi valorisée, comme facteur d’ordre et de discipline, la tendance observée ailleurs s’amplifie et puise, dans les attentes culturelles, une justification qu’elle n’a pas dans d’autres pays38. Á cette tendance s’ajoute aussi l’habitus d’informalité qui à l’exception de quelques quartiers de la capitale et des grandes villes, domine l’ensemble du Pérou39. Les dirigeants agissent donc sans aucun garde-fou, entourés d’individus habitués à un type de gouvernance autoritaire (voire despotique) et en marge de la légalité.

Concrètement, les curés dirigent en maître. Les conseils paroissiaux peinent à s’organiser et à jouer un rôle effectif (même si limité par le droit canon). Dans le diocèse de Chiclayo, une ville provinciale au Nord du Pérou, malgré l’insistance de Monseigneur Prevost, en poste depuis 4 ans, de 50 paroisses, seulement 12 (celles qui sont confiées à des congrégations, plus influencées par les mots d’ordre internationaux) ont établi un conseil paroissial, en 2017, elles étaient 6. Quant aux conseils économiques, les difficultés d’implantation sont encore plus importantes, seulement deux ont été établis. Malgré les incitations de l’évêque, les prêtres sont très réticents à une collaboration avec les laïcs. Un des prêtres du diocèse affirmait sans appel, à un de nos assistants de recherche: “Nous [les prêtres], nous ne pouvons pas accepter que les laïcs décident ce que nous devons faire”.

En Argentine, il n’y a aucun registre des paroisses ayant des conseils pastoraux. Pour combler le manque, un groupe de chercheurs a envoyé récemment un questionnaire aux paroisses de l’archidiocèse de Buenos Aires. Seulement 48 % d’entre elles ont des conseils paroissiaux40. Certaines des raisons exprimées par les curés pour ne pas avoir de conseils pastoraux sont révélatrices: “Ce sont des corps bureaucratiques”; “les choses se résolvent dans les couloirs, plus spontanément”; “ici nous nous arrangeons, l’important est que les gens rencontrent le Christ”; “pour les conseils, cela dépend du type de cure”; “j’ai hérité d’une paroisse sans structures”; “le droit canon n’oblige pas à avoir un Conseil pastoral”, etc.

Dans un contexte latino-américain, il semble difficile de proposer des mesures afin de rectifier la tendance à l’excès de pouvoir des curés. Le style de fonctionnement de l’institution correspond aux normes environnantes. Si ailleurs, les laïcs peuvent exiger droit de regard, dans ce contexte, ils n’en ressentent pas le besoin. La promotion de conseils paroissiaux, la seule mesure qu’autorise clairement le droit canon, peut jouer un rôle bénéfique: d’une part, en faisant prendre conscience de la nécessité d’un contrôle et d’une concertation dans la gestion (peu importe les qualités personnelles du prêtre), d’autre part, en fomentant des capacités de bonne citoyenneté.

Excès de pouvoir et abus

Reprenant l’analyse développée dans cette première partie, les conditions, dans les paroisses, semblent réunies pour favoriser la permissivité vis à vis des prêtres en même temps que l’aveuglement, tolérance des ouailles face aux excès. Les différentes caractéristiques énumérées, celles de l›institution, des individus qu›elle forme, de la situation sociale délétère, des habitudes culturelles et de la situation financière, accentuent la tendance à l›autoritarisme observée sous d›autres latitudes tout en prenant des formes spécifiques propres à ce contexte.

Ainsi, se développent des conditions propices aux abus et à l’impunité, avec des caractéristiques propres à la région. Nous proposons un cas qui pourrait être considéré cas d’école tant il condense tous les éléments jusques là mentionnés. Il s’agit d’une paroisse située dans une des banlieues très pauvres d’une des mégapoles péruviennes. Le curé, un nord-américain, Pedro41, a fondé une organisation non gouvernamentale qui reçoit des fonds de son pays pour les redistribuer sous forme d’aide alimentaire, bourses pour les études des enfants, financement de microprojets, etc. Son origine et la gestion des fonds le catapultent dans la position de prêtre héros, cacique et savant. L’ensemble du quartier bénéficie donc, d’une manière ou d’une autre, de la manne de l’organisation non gouvernamentale. Le prêtre auxiliaire, Lorenzo, a, il y a 2 ou 3 décennies, abusé de plusieurs mineur(e)s. Ces victimes, malgré l’installation de commissions d’écoute dans plusieurs évêchés, ne veulent pas présenter leur cas. Le motif évoqué est la peur de perdre les bienfaits de l’organisation non gouvernamentale. Par ailleurs, le curé Pedro maintient des relations avec deux femmes de la paroisse, il assiste même à des réunions sociales dans des familles de paroissiens avec une de ses compagnes. Personne, dans le quartier, n’en est scandalisé : selon la logique machiste, “un homme a des nécessités”.

Tacitement, semble s’être établi un pacte. Lorenzo ne dit rien des aventures amoureuses de Pedro qui lui-même maintient le secret sur les abus passés de Lorenzo; quant aux victimes, elles bénéficient avec leurs enfants des largesses de l’organisation non gouvernamentale... et souffrent en silence. Dans une structure de pouvoir absolutiste sans contrôle externe, Pedro et Lorenzo, en prêtres monarques, dominent et dirigent les laïcs. L’alliance entre Pedro et Lorenzo, leur pouvoir discrétionnaire et l’achat indirect des consciences illustrent comment peut prospérer la culture de la dissimulation si décriée par tous les analystes.

La divinisation des prêtres

Dans le rapport de la Commission australienne, la section dédiée au cléricalisme met en exergue une pensée du Curé d’Ars, patron des curés, citée dans la lettre de Benoît XVI pour “l’indiction d’une année sacerdotale en juin 2009: ‘Oh ! que le prêtre est quelque chose de grand! S’il le comprenait, il mourrait…[...] Après Dieu, le prêtre c’est tout…”42. Plusieurs autres réflexions du Curé d’Ars tendent à assimiler le prêtre à Dieu. On peut encore citer dans cet ordre d’idées: “Le prêtre est un homme qui tient la place de Dieu, un homme qui est revêtu de tous les pouvoirs de Dieu”43. Or, les pensées du Curé d’Ars ne forment pas un traité; ce sont des bons mots prononcés par Jean Marie Vianney et repris après sa mort. Elles correspondent aux élans inspirés et provocateurs d’un curé du XIXème siècle, en butte aux courants anticléricaux de l’époque, à la fois conséquence de la révolution française et influence du positivisme.

Il est significatif que Benoît XVI ait centré l’année sacerdotale sur la figure du Curé d’Ars, non seulement en célébrant les 150 ans de son décès (Dies natalis) mais aussi en citant les pensées du saint patron pour les proposer comme indication à suivre aux prêtres et à l’Église toute entière. La lettre et l’année de célébration qu’elle inaugure se proposent donc de “contribuer à promouvoir un engagement de renouveau intérieur de tous les prêtres afin de rendre plus incisif et plus vigoureux leur témoignage évangélique dans le monde d’aujourd’hui”44.

Benoît XVI mentionne l’incompréhension que peut induire la prêtrise dans le monde contemporain et probablement, bien qu’il n’y fasse pas référence, l’année sacerdotale vise à revaloriser la prêtrise, mise à mal, déjà, dans certains pays, par la crise des abus sexuels. Pour encourager les prêtres et rafraîchir leur image un tant soit peu ternie, Benoît XVI a recours au Curé d’Ars et insiste sur le caractère sacré du prêtre, pour ne pas dire divin.

Ce retour/recours au Curé d’Ars, compris hors contexte et de manière littérale, invite à réfléchir sur le lien entre le prêtre et le sacré qui est au cœur de la problématique du cléricalisme et des divers abus. D’une part, il convient de distinguer le lien traditionnel qui s’enracine dans une théologie de l’ordination et de l’eucharistie, forgée au cours des siècles. Malgré les grands changements formels dans les célébrations et les rituels, conséquence de Vatican II, l’Aggiornamento promu par Jean XXIII n’a pas affecté ce lien. D’autre part, s’est développée une néo-sacralisation du prêtre qui reprend littéralement la tradition et de ce fait même la transforme et qui s’appuie, directement ou indirectement, sur le renouveau charismatique, lui-aussi pur produit du phénomène d’extrapolation littérale.

Dans cette deuxième partie, nous nous proposons donc, en demeurant en contextes péruvien et argentin, d’analyser les caractéristiques de la sacralisation et de la néo-sacralisation des clercs qui créent ainsi un abîme entre eux et les laïcs et les rendent par conséquent intouchables.

Prêtre comme représentant de Dieu

Dans la section consacrée au cléricalisme, le document de la Commission Royale australienne présentant les apports de plusieurs théologiens, met en relief la particularité du sacrement de l’ordre dans la théologie catholique et sa dimension ontologique45. Cette perspective sur la prêtrise, comme l’affirme Alexandre Canoczy, s’est développée, avec le concile de Trente, en réaction au protestantisme. Le caractère particulier du prêtre qui le différencie des laïcs, est renforcé et théorisé. Le terme “sacerdoce”, reprenant la signification presque de caste, qu’il avait et qu’il a toujours en Israël, est appliqué de manière systématique à la prêtrise. Selon les termes de Canoczy,

…l’ordination imprime [son sceau] dans l’âme de l’ordinand, en lui communiquant l’Esprit Saint. Á cause précisément du “caractère”, qui tout comme celui du baptême ou de la confirmation, est inextinguible, un prêtre régulièrement ordonné ne peut plus redevenir laïc [...]; dans ce contexte, la scolastique posttridentine parlera de “différence d’essence et non seulement de degré” entre le “sacerdoce commun” et le “sacerdoce hiérarchique” ou “ministériel”.46

Le Concile Vatican II, tout en déplaçant l’accent sur le sens du ministère comme service, maintient le lien exceptionnel du prêtre avec le sacré: “Les ministres qui disposent du pouvoir sacré, sont au service de leurs frères”47. Dans le chapitre 28 de Lumen gentium, qui est dédié aux prêtres, est souligné que le sacrement est “institu par Dieu” et que “par la vertu” de celui-ci, le prêtre se configure “à l›image du Christ prêtre suprême et éternel”.

Dans son analyse de la lettre aux Hébreux, le jésuite Martin Pochon montre comment Vatican II est resté à mi-chemin, maintenant une certaine ambigüité à propos de la réforme de la liturgie eucharistique et donc du sens du rôle du prêtre. La théologie sacrificielle a perduré. Elle exalte le prêtre en tant que sacrifié et sacrificateur et fait référence à un Jésus soumis, obéissant inconditionnellement au Père. Une théologie plus évangélique réinscrivant le prêtre dans la communauté et faisant de la passion, l’expression suprême du don de soi, n’a pas prévalu bien qu’elle ait influencé certains passages des textes élaborés durant le Concile Vatican II et quelques changements dans la liturgie de la messe48.

Le “pouvoir sacré” du prêtre, selon l’expression de Lumen gentium, se manifeste et s’exerce dans la célébration des sacrements. Le prêtre joue un rôle essentiel dans la formation et configuration de la communauté chrétienne. Comme l’affirme le pape François,

…pour transmettre cette plénitude [de la foi], il y a un moyen spécial qui met en jeu toute la personne, corps et esprit, intériorité et relations. Ce sont les sacrements, célébrés dans la liturgie de l’Église. [...] Par eux, la personne est engagée, en tant que membre d’un sujet vivant, dans un tissu de relations communautaires. En conséquence, s’il est vrai de dire que les sacrements sont les sacrements de la foi, il faut dire aussi que la foi a une structure sacramentelle.49

Le “pouvoir sacré” du prêtre se révèle tout particulièrement dans la célébration de l’eucharistie, “centre de la vie chrétienne”, selon l’expression de Benoît XVI dans son discours inaugural à la Conférence de Evêques d’Amérique Latine et des Caraïbes à Aparecida. Le prêtre rend sacré et par la consécration de l’hostie (transsubstantiation, terme qui nous vient du Concile de Trente), rend présent le Christ.

Toutefois, le pouvoir sacré du prêtre n’englobe pas toutes ses activités ; il est censé s’exprimer de manière délimitée dans la célébration des sacrements. Á la suite de Saint Augustin, s’est établie la différence entre la valeur des sacrements et celui qui les administre50. Malgré la récente lutte contre les abus et le retour à l’état laïc de nombreux prêtres et prélats, le principe de la disjonction entre éthique et sacré reste intact mais peu de catholiques savent et comprennent cette distinction. Dans l’imaginaire, le prêtre ne dispose pas seulement de pouvoir sacré mais aussi ton son être se charge d’une aura de sacré et donc de bienveillance et de bonté. Cette extension du sacré sur toute sa personne (transformation ontologique, selon l’expression retenue par la commission australienne) le divinise et donc le rend insoupçonnable. Une des victimes liméniennes de harcèlement par un prêtre, pour exprimer son désarroi, nous dit que pour elle, jusqu’à ce moment-là, “le prêtre était comme Dieu”.

La sacralisation du prêtre notée par la commission australienne acquiert dans un contexte latino-américain une ampleur et une dimension renouvelées. En effet, l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Australie sont des contrées marquées par des processus de sécularisation qui ne sont pas uniformes. Comme le constate le sociologue José Casanova, si la pratique et les croyances religieuses ont diminué dans certains pays et peu (ou pas du tout) dans d’autres, le processus de différenciation en sphères séparées, nécessaire pour une appréhension scientifique du réel, s’est imposé dans les pays occidentaux (Amérique du Nord, Europe, Australie) et touche en partie la plupart des autres régions du globe51.

En Amérique Latine, en revanche, l’impact de la différenciation en sphères reste très limité. Les auteurs, reprenant une expression de Max Weber, caractérisent cette situation comme une “modernité enchantée”52. La différence n’est pas d’ordre quantitatif mais qualitatif. Selon l’heureuse expression d’Eloisa Martin, le sacré est “comme une texture différenciée du monde habitée”53. Par ailleurs, comme le remarque Charles Taylor, le monde enchanté est constamment agité par des forces diverses, par des entités puissantes, des esprits bons ou mauvais, des énergies qui se concentrent dans des amulettes, des statues, des images pieuses54... Dans cet univers, Dieu fait en quelque sorte le contrepoids du diable. Il est “l’ultime garant que le bien triomphera dans ce monde des esprits et forces multiples”55. Le monde enchanté est la proie de conflits dans lesquels les êtres humains sont impliqués.

Dans les pays sécularisés, comme l’Australie, les prêtres peuvent se percevoir comme entourés d’une aura de sacré mais leur pouvoir s’exerce de manière spécifique, dans un cadre sacramental. En revanche, dans un contexte latino-américain où par ailleurs, les sacrements, en particulier l’eucharistie, n’ont jamais été beaucoup pratiqués pour des motifs divers, le pouvoir de sacralisation du prêtre s’étend de manière exponentielle. Dans un contexte de piété populaire, les sacramentaux, bénédictions, fêtes des saints patrons, pèlerinage, processions, entre autres, acquièrent une importance accrue56.

Dans les processions, pèlerinages, voire même fêtes des saints patrons, les prêtres ont un rôle marginal, célébrant une messe pour les saints patrons, élément indispensable des festivités mais rassemblant, en général, une minorité d’assistants. En revanche, pas de bénédiction sans prêtre. Or, tout se bénit pour protéger des mauvais esprits: les voitures, les animaux, les maisons, les entreprises... même ce qui peut sembler éloigné de la logique catholique, comme par exemple un écran de télévision pour les paris dans un hippodrome. Si la mauvaise fortune (œuvre du malin?) semble s’obstiner dans une famille, prières et bénédictions s’enchaînent.

Le prêtre apparaît donc comme agent sine qua non de bien-être et de prospérité, hors cadre institutionnel, hors célébration de sacrements. Cette cosmovision conduit à transformer le prêtre en producteur de sacré, à volonté. Á la transformation ontologique du prêtre que mentionne la commission australienne, se superpose sa sacralisation. Dans cette exaltation de l’association, voire identification du prêtre avec le sacré, comment concevoir un contrôle des prêtres par les laïcs?

Néo-cléricalisme: prêtre presque Dieu

Les croyances catholiques, leurs expressions et voire même leurs rites malgré la stricte supervision du Saint Siège, se transforment sous les pressions d’un contexte social devenu en constant mouvement. Cette dynamique se manifeste tout particulièrement en Amérique Latine, marquant fortement certains pays comme le Pérou qui sont sortis d’un isolement pluri-séculier pour s’ouvrir au monde globalisé aux niveaux économique et culturel. Le statut du prêtre s’en est trouvé lui-aussi affecté.

Le Document final de Aparecida remarque et déplore: “…un des faits les plus déconcertants et les plus nouveaux que nous vivons actuellement. Nos traditions culturelles ne se transmettent plus d’une génération à l’autre avec la même fluidité que dans le passé”57. Dans un contexte de rupture avec les conditions de vie et les structures traditionnelles du catholicisme populaire, les formes de piété populaire se transforment et perdent de leur consistance communautaire. Les confréries tendent à devenir un phénomène minoritaire, en particulier dans les villes et les fêtes patronales se transforment en festivals où s’insèrent et parfois dominent les dimensions ludique et touristique58. Dans cette dynamique, le rééquilibrage clerc, laïcs se redéfinit. On peut observer deux tendances, l’une spécifique à l’Argentine et très marquée par la théologie du peuple et l’autre commune avec des nuances à l’ensemble de l’Amérique du Sud.

1. Analysons donc dans un premier temps la situation argentine très marquée par la théologie du peuple.

Le clergé a maintenu pendant des siècles une méfiance vis-à-vis des expressions de ferveur populaire difficiles à contrôler et souvent peu orthodoxes, voire hérétiques. Seulement, récemment, à partir de la Conférence des Évêques Latino-américains de Medellin (1968), la piété populaire a été réévaluée et valorisée59. Lors de la Conférence Générale des Évêques à Aparecida, l’orthodoxie et l’importance de la piété populaire sont clairement affirmées:

La piété populaire est une manière légitime de vivre la foi, une façon de se sentir partie prenante de l’Église et une forme d’être missionnaires. [...] La piété populaire continue à être une puissante confession du Dieu vivant qui agit dans l’histoire et un canal de transmission de la foi.60

Le pape François, alors cardinal Bergoglio est le rédacteur du Document Final de Aparecida. Dans cette appréciation, le pape François s’inscrit dans la logique d’un courant de pensée qui s’est développé en Amérique Latine, en particulier en Argentine, la théologie du peuple.

Il existe principalement deux courants théologico-pastoraux dans lesquels l’option préférentielle pour les pauvres a été encadrée en Amérique Latine. On conçoit les pauvres comme les victimes d’une injustice dont ils doivent être libérés (vision ancrée dans le document conciliaire Gaudium et spes) ; la seconde conçoit les pauvres comme un modèle de ce que l’Église est appelée à être (vision ancrée dans le document conciliaire Lumen gentium8). Les deux courants se sont développés entre 1968 et 1976, période au cours de laquelle Gustavo Gutierrez, Juan-Luis Segundo, Jose Comblin, Juan-Carlos Scannone, Lucio Gera, Leonardo Boff, Jon Sobrino, Ignacio Ellacuria, Santa Ana entre autres, élaborent des approches libérationnistes à partir du contexte latino-américain61.

Le deuxième courant s’enracine dans certaines conceptions théologico-pastorales et a conduit à la formulation de la théologie du peuple ou théologie de la culture. L’approche met en évidence que les expériences religieuses d’un peuple ne sont pas un chaos irrationnel, mais un ensemble symbolique cohérent composé de rites, de fêtes et de coutumes diverses. Le peuple exprime ainsi sa manière d’aborder le sacré et de donner du sens à son “monde”62. Á partir de cet ensemble, se construit un engagement envers la communauté politique. La piété populaire canalise les expressions d’un peuple pauvre mais croyant.

Dans cette perspective/paradigme, la catégorie “peuple” dans laquelle celle de “pauvre” est englobé, prime. Cependant dans cette totalité, les pauvres constituent le noyau central. Ils sont censés avoir la capacité de mettre tout le monde au diapason du transcendant. Cette vision s’inscrit ainsi dans certains aspects de la culture de la pauvreté qui soulignent les aspects positifs qui sont préservés et cultivés dans les secteurs populaires, ce que Scannone appelle la “sagesse” du peuple63. Les expressions religieuses des secteurs populaires sont donc considérées comme contenant une grande richesse qu’il est non seulement nécessaire de valoriser et de préserver mais qui doit aussi être transmise à tous les autres secteurs sociaux.

Le courant de la théologie du peuple favorise une exaltation du prêtre et consolide un néo-cléricalisme. Selon les termes de Scannone un des principaux théoriciens du mouvement et ami personnel du pape François, “une caractéristique distinctive de la théologie du peuple est sa revalorisation théologique et pastorale de la religion du peuple, au point qu’elle en est arrivée à reconnaître une mystique populaire64. Dans cette perspective mystique, le prêtre est investi de rôles multiples. Il devient l’interprète, le garant et le promoteur de la sagesse impliquée dans le sensus fidei. Il est opérateur du sacré.

Alors qu’autrefois (pré-Vatican II et préthéologie du peuple), le clergé tolérait la piété populaire, en s’ancrant dans la théologie du peuple, aujourd’hui, il participe activement et apporte son soutien aux célébrations traditionnelles, y jouant le rôle protagoniste lié au processus de sacralisation. Ce sont eux, les prêtres, conçus comme “sacralisés/ant” par l’ordre sacré, qui sont chargés non seulement de la conduite des principales activités cultuelles (messes, baptêmes, rites des morts, etc.) comme traditionnellement ils l’ont été, mais aussi de la variété des expressions de la foi et des dévotions du peuple, même si celles-ci sont en marge ou en dehors de ce qui est institué par l’Église. Les pauvres, conçus par la théologie du peuple, n’ayant plus tant besoin d’évangélisation, mais d’accompagnement et de bénédiction, trouvent dans le prêtre leur compagnon idéal, capable d’interpréter les aspirations du peuple et de le sanctifier dans les multiples dimensions de sa vie.

Les prêtres renforcent ainsi leur identité exceptionnelle, en accompagnant un peuple qui les perçoit comme proches et solidaires et qui exalte, en parallèle, leur rôle sacralisant dont sont exclus les religieux (religieuses) et les laïcs. En effet, les religieux et les laïcs, qui accompagnent aussi les pauvres, constatent que les croyances populaires, volontairement renforcées par le clergé lui-même, tendent à saper et à délégitimer son rôle. De nombreux témoignages de religieuses, impossibles à mentionner dans cet écrit, rendent compte de cette situation.

2. Dans un deuxième temps, nous nous proposons de montrer comment l’effacement des dévotions traditionnelles dont prend note le Document d’Aparecida implique un surcroît de sacralisation du prêtre, un néo-cléricalisme qui se superpose et renforce le cléricalisme existant.

Juan Bautista Duhau propose, en lien avec l’étude des abus dans l’Église, une étude théologique des fondateurs de Nouveaux Mouvements, plusieurs d’entre eux étant depuis quelques années accusés de divers abus (de conscience, sexuels, financiers, voire maltraitance, entre autres)65. Duhau considère que post-Vatican II, se sont développées, tout azimut, une recompilation et revalorisation de la vie des fondateurs, en insistant sur les caractéristiques propres de leur mission.

Cette revalorisation s’est cristallisée dans ce qu’aujourd’hui chaque congrégation appelle son charisme qui est une manière d’exprimer son identité et de se différencier des autres communautés. Ce processus d’exaltation des fondateurs s’élabore à partir de textes écrits parfois il y a plusieurs siècles, selon les normes du genre hagiographique impliquant une idéalisation des saints, et en particulier des fondateurs, en tant qu’individus directement inspirés par l’Esprit Saint. Appliquer les normes du genre hagiographique à des situations du XXème ou XXIème siècle implique souvent des déséquilibres, une adulation de fondateurs qui sont assimilés de leur vivant à des héros de genre littéraire. Proposer aux prêtres comme modèle le Curé d’Ars relève d’un processus similaire.

Les réflexions de Duhau, très révélatrices pour mieux comprendre les dangereux déphasages dans les communautés nouvelles, peuvent aussi s’appliquer aux Super Prêtres, ces clercs, en général proches du courant de Rénovation Charismatique, comme du reste la plupart des fondateurs des communautés nouvelles, auxquels la population attribue des pouvoirs surnaturels, inter alias, guérison, prophétisme... On demande à des Super Prêtres ce qu’autrefois on demandait aux saints ou aux images (manifestations de la présence divine sous forme de représentations mystérieusement produites ou conservées, “imagenes” en espagnol), lorsque les dévotions traditionnelles n’étaient pas encore battues en brèche par les transformations sociétales.

Cette perspective de transfert de dévotions d’un saint (image) à un homme peut aussi expliquer, en partie, le succès des évangéliques. En effet, dans ce cadre aussi, des fidèles ayant abandonné leurs croyances catholiques, cessent d’espérer des miracles des saints pour les attendre d’un pasteur canalisant en quelque sorte les bienfaits divins. Le même processus est à l’œuvre depuis les dévotions traditionnelles jusqu’aux cultes souvent très ressemblants des pentecôtistes évangéliques et charismatiques catholiques ; dans tous les cas, se manifeste une remarquable dimension de “effervescence” pourreprendre le terme d’Émile Durkheim qui permet finalement le passage sans ruptureprofonde66. Les pasteurs pentecôtistes et les super-prêtres deviennent ainsi les nouveauxsaints faiseurs de miracles.

Á Lima, le cas du père Manuel Rodriguez, clarétien d›origine espagnole, est particulièrement révélateur du processus67. Le père qui appartient à la Rénovation Charismatique a fait construire un immense hall où chaque samedi, il célèbre pour des milliers de personnes des messes de guérison (misa de sanación) retransmises sur la chaîne télévision (Jn 19) qu’il a fondée et financée avec l’apport des fidèles et probablement des dons de son pays d’origine. Au Pérou, les deux seules chaînes de télévision catholiques ont été formées et sont encore entre les mains de Super Prêtres proches de la Rénovation Charismatique. Ces deux hommes (père Manuel et père Roberto, aussi originaire d›Espagne) ont par ailleurs formé des communautés de fidèles. Dans leurs messes, sont censés se produire de nombreux miracles. Si la Rénovation Charismatique touche un nombre relativement réduit d›adeptes, en revanche par les célébrations massives et la télévision, ces Super Prêtres ont un grand rayonnement.

Dans un contexte de relatif effacement des dévotions traditionnelles, quelques Super Prêtres, et par contrecoup tous les autres clercs, jouissent, de manière renforcée, des pouvoirs traditionnels des prêtres et acquièrent, en sus, une aura de sacralité jusques là inouïe, puisqu’ils supplantent par leur puissance thaumaturge les saints. Que ce soit donc, grâce à la mystique de la théologie du peuple ou par le biais du mouvement charismatique, se forme un néo-cléricalisme divinisant les prêtres.

Conclusion et réflexions finales

Le statut des prêtres dans l’Église universelle tend à favoriser des travers liés à des excès de pouvoir pouvant conduire non seulement à des manquements à la mission et à des conduites inadéquates, mais aussi à des abus gravissimes comme ceux qui secouent actuellement, jusques dans ses fondements, l’institution. Cependant, comme le notent les spécialistes, les travers induits par ce statut commun peuvent être limités par la culture ambiante, en particulier dans des pays plus sécularisés, plus égalitaires et de tradition démocratique.

En revanche, le cléricalisme se consolide et acquiert de nouvelles dimensions, dans des régions comme l’Amérique Latine, où prédominent des situations de faiblesses institutionnelles, d’autoritarisme et de machisme et où par ailleurs, l’aura sacré des prêtres se renforce et s’étend jusqu’à assumer la puissance thaumaturge des saints dans un contexte de diminution des dévotions traditionnelles.

Bien que nous ne puissions pas l’aborder dans ce cadre, nous souhaiterions indiquer deux pistes de réflexion qui découlent de notre travail.

Il serait tentant de considérer le cléricalisme comme un avantage pour les prêtres leur octroyant un pouvoir excessif qui se solde, dans certains cas, par des abus. Il s’agit, en réalité, d’une erreur. Les prêtres sont aussi victimes du déséquilibre de pouvoir, non seulement parce que leur formation, en particulier dans certaines régions latino-américaines, implique un reformatage des affects et de la foi qui peut être très perturbateur, comme nous l’avons suggéré, mais aussi parce que leur statut de presque Dieu les condamne souvent à la solitude. Impossible d’exprimer leurs faiblesses face à des laïcs qui les idéalisent et qui les traitent comme des pourvoyeurs de sacré, impossible (ou presque) d’établir des relations d’être humain à être humain avec des hommes et des femmes qui les croient dispensés des contingences terrestres. La solitude qui peut produire de graves dépressions, permet de mieux comprendre pourquoi les prêtres abuseurs sont souvent plus âgés que les laïcs abuseurs: la décompensation que produit, à la longue, la solitude, rend en partie compte de ce fait68. Se vérifie ainsi la maxime pascalienne: “Qui veut faire l’ange, fait la bête”.

Les multiples facettes du cléricalisme se rejoignent toutes autour d’un noyau commun, la domination. Cette manière de concevoir le pouvoir s’enracine dans une culture d’autoritarisme qui ne peut pas être séparée de certaines images du divin comme un Être omniscient et tout puissant. Selon Andrés Torrés Queiruga, ce Dieu qu’il qualifie de pré-moderne, continue à hanter notre imaginaire et à structurer notre cosmovision69. C’est à ce Dieu tout puissant et autoritaire que s’identifient les prêtres, en agissant in persona Christi. Pour rompre les multiples renforcements qui justifient ce style de gouvernance, il faudrait développer dans l’Église, comme le suggère James Keenan, une culture de la vulnérabilité70.

Ceci représente une nouvelle révolution copernicienne, en Argentine et peutêtre encore plus au Pérou. Passer d’un Dieu refuge, maître absolu, en général bienveillant à condition d’être bien servi, à un Dieu Amour, désireux d’amour, vulnérable. Dans cette logique-là, un prêtre vulnérable n’est pas seulement, comme le souligne Keenan, un prêtre au service des laïcs mais aussi un prêtre qui a besoin des laïcs pour être vraiment prêtre. Reprenant l’intuition mystique d’Etty Hillesum, un Dieu vulnérable n’est pas la solution à nos problèmes, au contraire, Il nous invite à la coresponsabilité et Il attend/ espère “notre aide”.

Références

Benoît XVI. “Lettre du souverain pontife pour l’indiction d’une année sacerdotale (2009)”. Vatican, https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/letters/2009/documents/hf_ben-xvi_let_20090616_anno-sacerdotale.html (consulté 15 juin 2021).

Ballona, Vivencia. Sociological Perspectives on Clerical Sexual Abuse in the Catholic Hierarchy. Singapore: Springer, 2019.

Bogner, Daniel. “Une Église mortifère?”. Esprit 455 (2019): 10-14.

Bourdieu, Pierre. La domination masculine. Paris: Seuil, 1998.

Casanova, José. “Is secularization global?”. In Opening New Spaces: Woldwide Mision and Secularization, édité par Gregor Bub et Markus Luber, 69-80. Maintenant libre d’accès sur le site de Georgetown University, http://berkleycenter.geor-getown.edu/publications/is-secularization-global (consulté 1 février 2016).

Castro-Gómez, Carlos David. “La opción por los pobres: análisis crítico de sus posibilidades y limitaciones en un mundo globalizado”. In El Reino de Dios ¿es de este mundo? El papel ambiguo de las religiones en la lucha contra la pobreza, par G. Zalpa et H. Egil OfferdalComp, 23-52. Bogotá: Siglo del Hombre Editores y Clacso, 2008.

Celam. “Vème Conférence Générale de L’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en Lui «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” (Jn 16,4). Document final. Aparecida, 13‐31 mai 2007”. Celam, https://www.celam.org/aparecida/Frances.pdf (consulté 15 juin 2021).

Clemmer, Don. “Priests and Lay Women Work Together Every Day. The Church is Finally Starting to Train Them Together Too”. America, the Jesuit Review, 18 mars 2021, https://www.americamagazine.org/faith/2021/03/18/priest-seminaries-formation-catholic-laity-women-vatican-ii-240212 (consulté 15 juin 2021).

Comisión UC para el Análisis de la Crisis de la Iglesia Católica en Chile. Comprendiendo la crisis de la Iglesia en Chile. Santiago: Pontificia Universidad Católica de Chile, 2020.

Concile Vatican II. “Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium (1965)”. Vatican, https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19641121_lumen-gentium_fr.html (consulté 15 juin 2021).

Curé d’Ars. Pensées. Paris: Desclée de Brouwer, 2000.

Diez, Alejandro. “Antiguos y nuevos temas en los estudios sobre las fiestas patronales”. In Diversidad religiosa en el Perú: miradas múltiples, par C. Romero. 61-87, Lima: PUCP, 2016.

Duhau, Juan Bautista. “Revisión y actualización de la teología de los fundadores a partir de la crisis de los abusos”. Teología y vida 62/1 (2021): 37-58.

Durand, Francisco. El Perú fracturado: formalidad, informalidad y economía delictiva. Lima: Fondo Editorial del Congreso del Perú, 2007.

Faggioli, Massimo. “The Catholic Sexual Abuse Crisis as a Theological Crisis: Emerging Issues”. Theological Studies 80/3 (2019): 572-589.

_____. “A New Wave in the Modern History of the Abuse Crisis in the Catholic Church: Literature Overview, 2018-2020”. Theological Studies 82/1 (2021): 156-185.

Feierman, Jay. “Sexual Abuse of Young Boys in the Roman Catholic Church: An Insider Clinician Academic Perspective”. In The Abuse of Minors in the Catholic Church, par A. Blasi et L. Oviedo, 7-47. New York (NY): Routledge, 2020.

François. “Lettre au peuple de Dieu (20 août 2018)”. Vatican, https://www.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2018/documents/papa-francesco_20180820_lettera-popolo-didio.html (consulté 15 juin 2021).

François. “Lettre encyclique Lumen fidei sur la foi (2013)”. Vatican, https://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-fran-cesco_20130629_enciclica-lumen-fidei.html (consulté 22 avril 2021).

Fuller, Norma. “Repensando el machismo latinoamericano”. Masculinities and Social Change 1/2 (2012): 114-133.

Ganoczy, Alexandre. La doctrine catholique des sacrements. Paris: Desclée de Brouer, 1988.

González, Marcelo. La reflexión teológica en Argentina, 1962-2004: un mapa de sus relaciones y desafíos hacia el futuro. Buenos Aires: Iberoamérica, 2010.

Habermas, Jürgen; et Joseph Ratzinger. Raison et religion, la dialectique de la sécularisation. Paris: Salvator, 2010.

Heimerl, Theresia. “¿Hombres esencialmente diferentes? Masculinidades clericales”.Concilium 385 (2020): 119-129.

Jennings, Mark. “An Extraordinary Degree of Exaltation: Durkheim, Effervescence and Pentecostalism’s Defeat of Secularization”. Social Compass 62/1 (2015): 61-75.

Keenan, James. “Vulnerability and Hierarchicalism”. Melita theologica 68/2 (2018): 129-142.

Klaiber, Jeffrey. Historia contemporánea de la Iglesia Católica en el Perú. Lima : PUCP, 2017.

Lecaros, Véronique. Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy. Lima: Antonio Ruiz de Montoya, 2018.

_____. “La pratique dominicale au Pérou. Essai de diagnostic”. Revue des Sciences religieuses, 93/1-2 (2019): 137-159.

_____. L’Église Catholique face aux évangéliques. Le cas du Pérou. Paris: L’Harmattan, 2012.

_____. “L’existence de Dieu, une évidence en Amérique Latine”. Theologica Xavierana 70/189 (2020): 1-27.

_____. “Los religiosos católicos confrontados ante el reto de los conflictos medioambientales”. Crítica y resistencias: revista de conflictos sociales latinoamericanos 2 (2016): 87-108.

_____. “La Iglesia Católica como factor de secularización entre los campesinos migrantes en Jaén”. Allpanchis 47/86 (2020): 103-130.

_____. “Les oxymores religieux latino-américains. Étude sur ‘l’enchantement’ et les processus de ‘sécularisation’ au Pérou”. Social Compass 67/3 (2020): 444-460.

_____. “Los religiosos católicos confrontados ante el reto de los conflictos medioambientales”. Crítica y resistencias: revista de conflictos sociales latinoamericanos 2 (2016): 87-108.

Lecaros, Véronique; Ana Lourdes Suarez; et Brenda Carranza. Religieuses en Amérique Latine: invisibles mais indispensables. Paris: L’Harmattan, 2021.

Luciani, Rafael. “La renovación en la jerarquía eclesial por sí misma no genera la transformación”. En Teología y prevención, estudios sobre los abusos sexuales en la Iglesia, por D. Portillo, 37-63, Santander: Sal Terrae, 2020.

Martel, Frédéric. Sodoma, enquête au coeur du Vatican. Paris: Robert Laffont, 2019.

Martín, Eloisa. “From Popular Religion to Practices of Sacralization: Approaches for a Conceptual Discussion”. Social Compass 56/2 (2009): 273-285.

Marzal, Manuel. Tierra encantada. Lima: PUCP, 2002.

Minnerath, Roland. Doctrine sociale de l’Église et bien commun. Paris: Beauchesne, 2010.

Morello, Gustavo; Catalina Romero; Hugo Rabbia; et Nestor Dacosta. “An Enchanted Modernity: Making Sense of Latin America’s Religious Landscape”. Critical Research on Religion 5/3 (2017): 308-326.

Olszanowski, Martin. Consejos parroquiales de pastoral y juntas parroquiales en la Arquidiocesis de Buenos Aires. Buenos Aires: IICS-UCA, 2021. Disponible en: http://wadmin.uca.edu.ar/public/ckeditor/Facultad%20de%20Ciencias%20Sociales/PDF/investigacion/Informe-CoPaPas-BsAs-2021.pdf

Pochon, Martin. L’épître aux Hébreux au regard des évangiles. Paris: Du Cerf, 2020.

Portocarrero, Gonzalo. Rostros criollos del mal: cultura y transgresión en la sociedad peruana. Lima: Red para el Desarrollo de las Ciencias Sociales en el Perú, 2004.

Royal Commission into Institutional “Responses to Child Sexual Abuse. Final Report. Volume 16: Religous Institutions, Book 2 (2017)”. Royal Commission, https://www.childabuseroyalcommission.gov.au/sites/default/files/final_report_-_volume_16_religious_institutions_book_2.pdf (consulté 25 juin 2020).

Salinas, Pedro. Mitad monjes, mitad soldados. Lima: Planeta, 2015.

Scannone, José Carlos. La théologie du peuple. Racines théologiques du pape François.Paris: Lessius, 2017.

Schickendantz, Carlos. “Fracaso institucional de un modelo teologico-cultural de un modelo de Iglesia, factores sistémicos en la crisis de los abusos”. Teología y vida 60/1 (2019): 9-40.

Suárez, Ana Lourdes (ed.). Creer en las villas. Devociones y prácticas religiosas en los barrios precarios de Buenos Aires. Buenos Aires: Biblos, 2015.

Suárez, Ana Lourdes et Juan Martín López Fidanza. “El campo religioso argentino hoy: creencia, autoadscripción y práctica religiosa. Una aproximación a través de datos agregados”. Cultura y religión.Revista de Sociedades en Transición. Vol 7/1 (2013): 98-115.

_____. “Informe sobre creencias, autoadscripción y práctica religiosa en Argentina”. Buenos Aires: Instituto de Investigaciones en Ciencias Sociales, Facultad de Ciencias Sociales (Iicsuca/Conicet): 2020. Disponible en: UCA, https://bit.ly/3nRiQsA.

Suárez, Ana Lourdes et Veronique Lecaros. “Religious Sisters in Latin America. Identity, Challenges and Perspectives”. International Journal of Latin American Religions 5 (2021): 330-354.

Taylor, Charles. “Les anti-lumières immanentes”. In Christianisme, héritages et destins, par C. Michon, 155-184. Paris: Le Livre de Poche, 2002.

_____. Encanto y desencantamiento. Santander: Sal Terrae, 2015.

Thiel, Marie-Jo. L’Église Catholique face aux abus sexuels sur mineurs. Paris: Bayard, 2019.

Torres Queiruga, Andrés. Recuperar la creación: por una religión humanizadora.Santander: Sal Terrae, 2001.

Zollner, Hans. “Las heridas causadas por abusos sexuales”. La civiltá cattolica 12 (2018): 51-61.

Notes

1 Faggioli, “A New Wave in the Modern History of the Abuse Crisis in the Catholic Church: Literature Overview, 2018-2020”, 178; Luciani, “La renovación en la jerarquía eclesial por sí misma no genera la transformación”; Schickendantz, “Fracaso institucional de un modelo teologico-cultural de un modelo de Iglesia, factores sistémicos en la crisis de los abusos”, 9-40; Keenan, “Vulnerability and Hierarchicalism”, 129-142; Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse, “Final Report. Volume 16: Religous Institutions, Book 2”.

2 Ibid., 612.

3 Ibid., 614; Schickendantz, “Fracaso institucional de un modelo teologico-cultural de un modelo de Iglesia, factores sistémicos en la crisis de los abusos”, 27.

4 Ibid., 28; Zollner, “Las heridas causadas por abusos sexuales”, 59.

5 François, “Lettre au peuple de Dieu (20 août 2018)” 2.

6 Suarez e Lecaros, “Religious Sisters in Latin America. Identity, Challenges and Perspectives”, 14.

7 Dans les deux pays, les pourcentages de la population catholique sont élevés. En Argentine, il est d’environ 70 %, enregistrant toutefois une baisse soutenue depuis 1960 moment où, selon le recensement national de la population et du logement, il atteignait 90,1 % (Suárez et López Fidanza, “Informe sobre creencias, autoadscripción y práctica religiosa en Argentina”). Au Pérou en 2014, le pourcentage de catholiques atteint 76 %. Le nombre de prêtres en Argentine est de 5748 et au Pérou de 3384. En Argentine, ce nombre est resté stable au cours des 5 dernières décennies. Au Pérou, le nombre de prêtres a augmenté de 33 % depuis 1970, augmentation bien en deçà de la croissance démographique (Voir Lecaros, Suarez et Carranza, Religieuses en Amérique Latine: invisibles mais indispensables).

8 Comisión UC para el Análisis de la Crisis de la Iglesia Católica en Chile, Comprendiendo la crisis de la Iglesia en Chile.

9 Voir Thiel, L’Église catholique face aux abus sexuels sur mineurs.

10 Marzal, Tierra encantada; Morello, Romero, Rabbia et Dacosta, “An Enchanted Modernity: Making Sense of Latin America’s Religious Landscape”, 308-326; Lecaros, “Les oxymores religieux latino-américains. Étude sur ‘l’enchantement’ et les processus de ‘sécularisation’ au Pérou”, 444-460.

11 Voir Salinas, Mitad monjes, mitad soldados.

12 Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 94.

13 Lecaros, “Les oxymores religieux latino-américains. Étude sur ‘l’enchantement’ et les processus de ‘sécularisation’ au Pérou”, 444-460; Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, 92.

14 Suárez (ed.), Creer en las villas. Devociones y prácticas religiosas en los barrios precarios de Buenos Aires, 168.

15 Lecaros, Fe cristiana y secularización en el Perú de hoy, chapitre “La Iglesia Católica y la educación”.

16 Voir Suárez (ed.), Creer en las villas. Devociones y prácticas religiosas en los barrios precarios de Buenos Aires.

17 Voir Lecaros, Suarez et Carranza, Religieuses en Amérique Latine: invisibles mais indispensables.

18 Voir Suárez (ed.), Creer en las villas. Devociones y prácticas religiosas en los barrios precarios de Buenos Aires.

19 Lecaros, “Los religiosos católicos confrontados ante el reto de los conflictos medioambientales”, 87-108; Lecaros, Voir Suarez et Carranza, Religieuses en Amérique Latine: invisibles mais indispensables.

20 Des religieuses et des laïques ont aussi été assassinés pour les mêmes motifs que les prêtres. Cependant, effet du cléricalisme, l’Église et les médias mentionnent davantage les prêtres victimes.

21 Comisión UC para el Análisis de la Crisis de la Iglesia Católica en Chile, Comprendiendo la crisis de la Iglesia en Chile.

22 Ballona, Sociological Perspectives on Clerical Sexual Abuse in the Catholic Hierarchy.

23 Heimerl, “¿Hombres esencialmente diferentes? Masculinidades clericales”, 119-129; Schickendantz, “Fracaso institucional de un modelo teologico-cultural de un modelo de Iglesia, factores sistémicos en la crisis de los abusos”, 9-40.

24 Bogner, “Une Eglise mortifère?”, 10-14.

25 Fuller, “Repensando el machismo latinoamericano”, 114-133.

26 Voir Martel, Sodoma, enquête au coeur du Vatican.

27 Voir Bourdieu, La domination masculine.

28 Clemmer, “Priests and Lay Women Work Together Every Day. The Church is Finally Starting to Train Them Together Too”.

29 Voir Lecaros, Suarez et Carranza, Religieuses en Amérique Latine: invisibles mais indispensables.

30 Lecaros, “La Iglesia Católica como factor de secularización entre los campesinos migrantes en Jaén”, 103-130.

31 Klaiber, Historia contemporánea de la Iglesia Católica en el Perú, 14.

32 Lecaros, “L’existence de Dieu, une évidence en Amérique Latine”, 1-27.

33 Heimerl, “¿Hombres esencialmente diferentes? Masculinidades clericales”, 119-129.

34 Minnerath, Doctrine sociale de l’Église et bien commun, 133.

35 Luciani, “La renovación en la jerarquía eclesial por sí misma no genera la transformación”, 37-63; Schickendantz, “Fracaso institucional de un modelo teologico-cultural de un modelo de Iglesia, factores sistémicos en la crisis de los abusos”, 9-40.

36 Voir Habermas et Ratzinger, Raison et religion, la dialectique de la sécularisation.

37 Schickendantz, “Fracaso institucional de un modelo teologico-cultural de un modelo de Iglesia, factores sistémicos en la crisis de los abusos”, 30.

38 Voir Portocarrero, Rostros criollos del mal: cultura y transgresión en la sociedad peruana.

39 Durand, El Perú fracturado: formalidad, informalidad y economía delictiva, 38.

40 Voir Olszanowski, Consejos parroquiales de pastoral y juntas parroquiales en la Arquidiocesis de Buenos Aires.

41 Tous les noms mentionnés sont fictifs.

42 Royal Commission into Institutional “Responses to Child Sexual Abuse, Final Report. Volume 16: Religous Institutions, Book 2 (2017)”, 622.

43 Curé D’Ars, Pensées, 97.

44 Benoît XVI, “Lettre du souverain pontife pour l’indiction d’une année sacerdotale (2009)”.

45 Royal Commission into Institutional “Responses to Child Sexual Abuse, Final Report. Volume 16: Religous Institutions, Book 2 (2017)”, 629.

46 Ganoczy, La doctrine catholique des sacrements, 122.

47 Concile Vatican II, Lumen gentium 18.

48 Voir Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des évangiles.

49 François, “Lettre encyclique Lumen fidei sur la foi (2013)” 40.

50 Faggioli, “The Catholic Sexual Abuse Crisis as a Theological Crisis: Emerging Issues”, 579.

51 Casanova, “Is secularization global? ”, 69-80.

52 Morello, Romero, Rabbia et Dacosta, “An Enchanted Modernity: Making Sense of Latin America’s Religious Landscape”, 308-326; Lecaros, “Les oxymores religieux latino-américains. Étude sur ‘l’enchantement’ et les processus de ‘sécularisation’ au Pérou”, 444-460.

53 Martín, “From Popular Religion to Practices of Sacralization: Approaches for a Conceptual Discussion”, 281.

54 Taylor, “Les anti-lumières immanentes”, 159; Taylor, Encanto y desencantamiento, 49.

55 Taylor, “Les anti-lumières immanentes”, 159.

56 Lecaros, “La pratique dominicale au Pérou. Essai de diagnostic”, 137-159; voir Suarez (ed.), Creer en las villas. Devociones y prácticas religiosas en los barrios precarios de Buenos Aires.

57 Celam, “Vème Conférence Générale de L’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en Lui «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” (Jn 16,4). Document final. Aparecida, 13‐31 mai 2007” 39.

58 Diez, “Antiguos y nuevos temas en los estudios sobre las fiestas patronales”, 61-87.

59 Marzal, Tierra encantada, 386.

60 Celam, “Vème Conférence Générale de L’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en Lui «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” (Jn 16,4). Document final. Aparecida, 13‐31 mai 2007” 264.

61 Castro-Gomez, “La opción por los pobres: análisis crítico de sus posibilidades y limitaciones en un mundo globalizado”, 23-52.

62 Gonzales, La reflexión teológica en Argentina, 1962-2004: un mapa de sus relaciones y desafíos hacia el futuro, 105.

63 Scannone, La théologie du peuple. Racines théologiques du pape François, 153.

64 Ibid., 202.

65 Duhau, “Revisión y actualización de la teología de los fundadores a partir de la crisis de los abusos”, 37-58.

66 Jennings, “An Extraordinary Degree of Exaltation: Durkheim, Effervescence and Pentecostalism’s Defeat of Secularization”, 61-75.

67 Lecaros, L’Église Catholique face aux évangéliques. Le cas du Pérou, 197.

68 Feierman, “Sexual Abuse of Young Boys in the Roman Catholic Church: An Insider Clinician Academic Perspective”, 7-47.

69 Torres Queiruga, Recuperar la creación: por una religión humanizadora, 170.

70 Voir Keenan, “Vulnerability and Hierarchicalism”.

* Artículo de investigación: fruto de un proyecto investigativo desarrollado en 2021 que financió el Intercambio Cultural Alemán-Latinoamericano, Icala, “Estudio exploratorio sobre el abuso sexual en las Iglesias de Perú y Argentina: análisis y recomendaciones desde la experiencia de las víctimas”.

Notes aux auteurs

aAutora de correspondencia. Correo electrónico: vgauthier@pucp.pe

Information additionnelle

Cómo citar: Lecaros, Véronique, y Ana Lourdes Suárez.“Le cléricalisme, version latino-américaine: ses spécificités et ses dangers. Les cas du Pérou et de l’Argentine”. Theologica Xaveriana vol. 73 (2023): 1-31. https://doi.org/10.11144/javeriana.tx73.cvlsd

Contexto
Descargar
Todas